Le Lapin de Pâques
(Hommage à Lewis Carroll)
Monsieur Lapin tire sa montre de son gousset.
Il fonce vers son terrier, sans remarquer la petite Alice qui l’observe. Il disparaît dans l’entrée dissimulée sous les racines du chêne centenaire.
Elle se lance à sa poursuite, pénètre dans le trou. Elle se retrouve dans le noir. Soudain, elle perd pied et glisse sous le sol. La descente rapide la prend par surprise. Elle s’inquiète surtout pour sa nouvelle robe, qui risque d’être tachée : tante Gertrude va encore la disputer.
Elle atterrit dans un lieu étrange. Des champignons luminescents éclairent une caverne peuplée de personnages curieux. Des arbres-lutins se dressent près d’un petit lac. Des fleurs-papillon chantent et ondulent aux côtés de lanternes chinoises. D’étranges animaux à six pattes et aux yeux globuleux s’approchent pour examiner la visiteuse. Ces yeux, fixés sur des antennes, se meuvent de part et d’autre d’une tête noire et lustrée. Un nez crochu et une bouche rose et ronde complètent le visage sans expression de ces insectes chitineux.
Alice sursaute, se retourne et aperçoit un vieillard aux longs cheveux gris, assis sur un trône sculpté à même les racines noueuses du chêne vénérable. L’habit qu’il porte miroite et change de couleurs constamment. Un rouge colérique domine. Alice ne se laisse pas impressionner. Les adultes peuvent parler fort, tempêter, mais elle a l’habitude d’en faire à sa tête, au grand désespoir de ses parents.
Surpris par cette réponse inattendue, le vieil homme lui demande :
Sans transition elle demande au roi des nains, car c’est bien lui qui se tient devant elle :
Puis elle enchaîne :
Elle fait une petite révérence :
Elle attend que le vieillard se nomme à son tour, mais il ne fait que grogner. Il l’examine en se frottant la barbe d’un geste machinal. Des tourbillons gris s’agitent sur sa cape, manifestant sa perplexité devant cette surprenante visiteuse.
Soudain, sa cape s’éclaire de flashs rouges et jaunes. Il a une idée. Il se lève de sa chaise et entraîne Alice vers une autre salle.
Il la fait entrer dans une vaste pièce toute blanche. Alice ne voit rien de précis, car elle se trouve rapidement entourée par des dizaines de poules, d’oies et de canes, habillées de plumes criardes et maquillées de façons extravagantes. Elles jacassent, cancanent, caquassent et pépient toutes à la fois, dans une cacophonie étourdissante. Toutes veulent toucher sa robe, ses cheveux et les rubans roses au bout de ses tresses blondes.
Les questions fusent de toutes parts :
Alice ne sait plus comment échapper à cette armada de poules de luxe. Vraiment, leurs préoccupations sont bien superficielles ! Elle demande :
Une énorme poule, la tête haute et le bec pincé, répond d’un ton offusqué :
Elle lui désigne une rangée de marmites remplies de chocolat onctueux. L’odeur sucrée la fait saliver.
La foule se disperse et chacune retourne à son poste de travail. Certaines brassent le précieux chocolat avec de grandes spatules. D’autres préparent les moules. Une rangée de gros œufs montent la garde sur une table basse. Des écureuils armés de plumes dessinent délicatement des figures géométriques sur les coquilles. Plus loin, d’autres ajoutent les couleurs vives. Le Lapin au gousset examine le travail.
Alice ne peut plus se contenir. Elle s’approche et tente de s’emparer d’un œuf. Un coup d’aile sur les mains l’arrête.
Le roi des nains, qui a observé toute la scène, intervient :
Le roi frappe le sol de son bâton magique. Une nuée tourbillonnante enveloppe Alice. Elle se sent soulevée de terre, s’envole et tombe dans un profond sommeil.
********
Alice entend une voix lointaine :
La petite fille se réveille. Elle est couchée sous le grand chêne du jardin. Tante Gertrude la découvre et la sermonne :
Alice n’insiste pas. Elle sait bien que les grands ne veulent rien voir de la réalité des enfants. À la fin du repas, elle demande :
Ses parents se regardent, avec un sourire entendu. Son père lui répond :
Cette nuit-là, Alice fit encore de merveilleux rêves.
Jeudi 2020-04-09
Exercice 1: Vous venez de découvrir les lettres «P» et «C» dans votre sac (pour les femmes) et votre mallette (pour les hommes). Trouvez le plus d’objets possibles qui commencent par ces lettres et qui se trouvent dans votre sac ou mallette.
Exercice 2: À l’aide d’au moins 4 ou 5 de ces objets, écrivez une histoire qui mettra en vedette votre artiste ou sportif préféré.
Tu fais l’inventaire de ton sac : crayons, papier, cartable et portable. Pas de surprise, les outils de l’écriture sont alignés comme de bons soldats. En ces temps de confinement, écrire semble si simple, si accessible. Mais la concentration fait défaut. La Mort, tapie dans les fentes, dans un contact fortuit, dans une toux rencontrée par hasard lors de ta marche quotidienne, rôde, sournoise. Tu mesure la légèreté de l’être devant la pesanteur des contraintes de l’existence.
Pourquoi écrire? Quel sens donner à ce petit geste qui aligne les lettres et les mots sur les feuillets immaculés? Que dirait Camus, l’auteur de La Peste, de la valeur de l’écriture non pas face au combat, mais dans le retrait imposé, dans l’obligation de l’inactivité? Lui choisissait l’action : le médecin qui combat la peste, Sisyphe qui remonte éternellement son rocher… Mais quelle valeur peut-on trouver dans l’enfermement, dans l’isolement?
Tu retournes en toi-même. C’est une période d’introspection, de réflexions. Par la fenêtre, tu vois l’écureuil qui s’agite, grimpe, descend de l’érable, dans une course confuse. Le danger, pour lui, est la chatte de la voisine qui le surveille avec une apparente indifférence. Et toi, tu tentes d’attraper l’insaisissable, d’exprimer la confusion du présent, le flux de tes pensées, de tes sensations. Trouveras-tu une vérité profonde ou un leurre, une illusion de l’esprit qui refuse le chaos du monde? La vie ne serait-elle qu’un rêve, que paroles vaines qui s’envolent?
Comme Camus, tu cherches à trouver l’ordonnancement du monde, à trouver un sens à cette existence si fragile, si humaine. Ce questionnement vient tout naturellement devant la menace sourde du Covid-19. La beauté n’est-elle pas dans le fait de se plonger dans ces réflexions, dans cette recherche intérieure de sens bien plus que dans les réponses, toutes plus insuffisantes les unes que les autres? Se connaître soi-même est sans fin et comprendre le monde est une tâche impossible. Alors pourquoi créer? Pourquoi écrire?
Tu te dis que l’acte de création de ce quelque chose, de ces pensées transformées en mots vaut mieux que le silence. Ces phrases ont le mérite d’exister, effacent les non-dits, dépassent la résignation muette. Bien sûr, les mots et les phrases demeurent toujours en-deca de ce que tu voudrais exprimer, n’arrivent pas à communiquer totalement ta pensée. Tes insuffisances, tes limites, te découragent parfois. Tu voudrais tellement exprimer avec force ce qui t’habite.
En toi, les mots résonnent : les mots cloche-pieds, les mots prisons, les mots poisons. Tu les entends. Ils te surveillent, t’emprisonnent. Tu voudrais jeter au loin les mots empêcheurs de liberté, les mots qui tournent à vide, les déjà-vus, les déjà-dits, les mots-Alzheimer avaleurs de cerveau. Tu voudrais dominer les mots, les transformer, les torturer, leur arracher le sens et les tourner contre leur pouvoir pour atteindre enfin l’indicible, la vérité primordiale, le cri, l’alerte, l’attente, le souffle, le mystère.
Yves Dion, le 10 avril 2020
Jeudi 2020-04-16
Exercice 1: Décrire un moment ou un événement dans la journée d’une personne très très, mais très distraite.
UN HOMME DISTRAIT
LE Congrès de Mathématique ne durait qu’une journée mais attirait les plus grands noms du domaine. Le Professeur Jean Beaudoin, chercheur émérite de l’Université Laval, se devait d’y assister. Sa présentation sur l’utilisation des suites de Cantor dans l’algèbre booléenne allait faire des vagues.
Ah oui, cette fois, son épouse l’accompagnait. Elle profitait de cette occasion pour aller voir l’exposition Chagall au Musée des Beaux-Arts et souper avec leur fils, étudiant en informatique à McGill. Tant mieux, il pourrait travailler pendant qu’elle conduirait.
Ils se levèrent tôt. Son épouse avait préparé sa valise la veille : il oubliait toujours son nécessaire de toilette ou des bas de rechanges. Un matin, il s’était même rendu à l’Université sans pantalon! Ses étudiants l’avaient surnommé Professeur Tournesol tant il était distrait. Elle comblait donc ses manquements par une surveillance constante.
Durant le trajet, il resta plongé dans la révision de sa présentation, clarifiant les implications de son approche en informatique. Il ne leva les yeux de son portable qu’au moment de l’arrivée au Palais des Congrès. Il embrassa distraitement son épouse. Elle lui rappela le souper avec leur fils au restaurant Sandhu à 16 :30 heures, les bons restaurants indiens étant rares à Québec. Il sortit de l’auto mais son épouse dû le rappeler car il oubliait sa mallette.
La journée fut exaltante : il rencontra de vieux amis, se lança dans les controverses savantes avec ferveur. Son cerveau était en ébullition. Il était reconnu pour sa capacité à faire des liens inattendus entre divers domaines des mathématiques. Un aéropage de jeunes doctorants l’entourait. La journée passa en un clin d’œil. Le Congrès terminé, il continua une discussion amorcée avec un collègue du MIT. Le professeur Barnardt dû l’interrompre : un avion n’attend pas.
Il se pensa alors à son épouse. Elle avait discuté de quelque chose ce matin. Mais quoi? Ah, oui! Le restaurant. Il regarda sa montre : il avait le temps de prendre l’autobus qui le ramènerait à Québec. Il 2serait à la maison à 21 :00 heures. Il pourrait alors lui parler de sa stimulante journée et planifier une sortie au restaurant pour samedi soir.
Exercice 2: En cette période de confinement, décrivez une activité que vous avez réalisée ou que vous voulez réaliser, mais que vous remettiez toujours à plus tard… quand vous auriez le temps.
CONFINEMENT :
Nous sommes confinés. Enfin j’ai le temps de faire le ménage de mon garde-robe. Là- dedans s’entassent tricots, chemises, pantalons et T-shirts que je n’ai pas porté depuis des années. Et je ne parle pas des souliers, sandales, souliers de sport plus ou moins usés qui encombrent le plancher.
La méthode Kando devrait s’appliquer :
-Tout sortir,
-Ne remettre en place que les vêtements qui m’apportent un plaisir certain et qui sont utiles,
– Remercier et dire adieu au reste.
La décision est irrévocable : ne garder que le nécessaire! Pas de superflu! La Maison du Père recevra le reste. Voyager léger : c’est ma nouvelle résolution. La vie me sera plus saine et plus légère.
Avec ces belles résolutions en tête, j’entre dans la chambre et ouvre la penderie, contemple le désastre. C’est bien pire que je croyais. Tout d’abord, les tablettes sont encombrées de sacs de voyage, petites valises, matériels de sport et même de décorations de Noel! J’y vois aussi des chandails de laine et des cravates, moi qui n’en porte jamais.
Le spectacle me consterne. Comment ai-je pu accumuler autant! Découragé, je laisse mon regard glisser vers la fenêtre : le soleil resplendit. Sans perdre une minute, je m’habille et je m’en vais faire une longue marche. Le ménage de la penderie attendra un autre jour!
Jeudi 2020-04-23
Exercice 1:
À partir de la photo dans le fichier joint, imaginez une histoire ou peut-être un souvenir qui vous rappelle «l’ancien temps». (Merci à Pauline pour la suggestion de cet exercice).
La tarte aux pommes
Le poêle répand sa douce chaleur, le chien dort sous la table. Rose-Anna regarde le soleil éclatant de ce début octobre. Son mari et les deux grands sont partis au camp de chasse. Ils reviennent ce soir. Elle voit la manne de pomme dans un coin.
»Faisons-leur une bonne tarte aux pommes! », se dit-elle.
Et elle mobilise grand-maman Blandine pour peler les pommes.
– »Thérèse, viens m’aider! Je vais te montrer comment faire une tarte. »
– »Tout de suite maman! », répond la petite de dix ans.
Rose installe un grand papier ciré sur la table, tamise la farine et la poudre à pâte pour en faire un monticule. Elle y fait un puit. Ensuite, elle y met le sucre, deux jaunes d’œufs et y verse de l’eau glacée. Elle incorpore le tout avec deux couteaux, puis pétrit le mélange avec la paume de sa main pour en faire une pâte.
– »Regarde bien Thérèse, il faut passer le rouleau dans un sens puis dans l’autre. Puis tu replies la pâte sur elle-même et tu roules de nouveau. De cette manière, la pâte sera plus feuilletée. Vas y, essaie! »
Et Thérèse de reproduire les gestes de sa mère tandis que grand-mère, penchée sur ses pommes, se souvient d’une scène semblable, lorsqu’elle montrait les mêmes gestes à sa fille de dix ans.
Exercice 2:
Imaginons qu’on a tous et toutes le même ami qui s’appelle Bertrand Dufour. C’est aujourd’hui le jour de son anniversaire. De quoi sera faite sa journée?
Bon Anniversaire
Bertrand se lève de mauvaise humeur. Il n’aime pas les anniversaires. Et d’avoir cinquante ans encore moins. Il sait bien qu’on vieillit tous, mais cinquante ans déjà! »Je deviens vieux. », se dit-il, ce qui ajoute à sa mauvaise humeur. Son épouse a préparé le café et lui lance un »Bon Anniversaire! » auquel il répond par un grognement. Elle hausse les épaules. Elle sait qu’il est un ours grognon le matin.
Au travail, sa secrétaire a affiché un »Bon demi-siècle » avec des ballons sur le babillard. Ce rappel de son âge vénérable le fait sourciller. Il ne peut échapper aux bons souhaits que tous lui lancent. Il affiche un sourire contraint, n’arrive pas à surmonter ses pensées négatives. Il se voit dépérir, être obligé de ralentir, de prendre des pilules… Ces pensées moroses l’habitent toute la journée.
De retour chez lui, c’est la surprise! Son fils, sa bru et son petit-fils sont venus de Ste-Agathe. Il s’illumine, retrouve le sourire, embrasse toute la famille et admire le petit Vincent. Voir cet enfant grouillant grandir, c’est une joie que l’on n’a qu’en vieillissant!
Une disparitionDès que j’aperçus mon père dans le hall de l’hôtel, j’ai compris qu’un malheur était arrivé. À 85 ans, avec un début d’Alzheimer mais encore autonome, mon père ne me dérangeait pas sans un événement majeur. Le Congrès des enquêteurs spécialisés de la SQ se poursuivrait sans moi.- ‘’Henri est disparu!’’ me dit-il d’un air paniqué.
– ‘’Tu dois m’aider! Les policiers du poste de quartier ne veulent rien faire.’’
J’essaie de le rassurer.
– ‘’Il va revenir, tu le sais bien!’’
– ‘’Il n’est pas rentré hier soir! Aide-moi, je t’en prie. Tu es policier après tout!’’
– ‘’Mais papa, je suis comptable! Je travaille au Bureau des Crimes Économiques, tu le sais bien!’’
– ‘’Il faut que tu m’aides’’ insiste-t-il.
– ‘’Il est probablement sorti pour une de ses virées nocturnes. Cela lui arrive, tu sais.’’
Henri, son compagnon depuis cinq ans, son réconfort, sa bouée de sauvetage, sans lequel il est un peu perdu.
– ‘’D’accord’’, je lui dis. ‘’Quand l’as-tu vu pour la dernière fois?’’
– ‘’Hier soir, à 19 heures, il est sorti pour sa promenade… et il n’est pas revenu! ’’
– ‘’Bon! Retournons chez toi. Il est probablement de retour.’’
J’essayait bien de rassurer mon père mais j’étais inquiet. Henri pouvait bien avoir eu un accident et que ferait mon père sans lui?
En arrivant devant son immeuble du quartier Rosemont, je poussai un soupir de soulagement. Henri était là. Le gros matou aimé était de retour.
Mal aux cheveuxDepuis trois semaines, c’est la panique à l’urgence de l’Hôtel-Dieu. Une curieuse épidémie frappe la région. Cela commence par des cheveux qui tombent. Rien de grave, direz-vous. Mais, quelques jours plus tard, ce sont de grandes plaques vides qui parsèment le cuir chevelu. Il y a des rougeurs et des démangeaisons. La barbe est aussi attaquée. Quelques patients font de la fièvre, mais elle est peu élevée. Les tests sanguins sont normaux sauf pour une élévation des globules blancs.
Comme nous en avions vu huit cas en quelques jours, nous avons alerté la Santé Publique. Avec la pandémie, ils ont d’autres chats à fouetter! Débrouillez-vous, disent-ils. Bien entendu, nous avons d’abord pensé à une manifestation bizarre de la Covid-19, suite à une mutation du coronavirus.
Les tests, effectués en urgence, sont revenus négatifs. Ouf! Finalement, notre microbiologiste, la Docteure Marie-Josée Lalumière, après de multiples prélèvements et des cultures en laboratoire a identifié la source de cette alopécie galopante. Le commun Staphylococcus Aureus avait muté et s’attaquait aux follicules pileux de ces personnes. Heureusement, cette bactérie était sensible aux antibiotiques.
Nous avons envoyé une alerte aux autres hôpitaux. Il a fallu trouver un nom à cette condition : Alopécia Variegata secondaire au Staphylococcus Aureus Mutant-20 ( AV sec SAM-20).
Confiance
Tout en jouant avec son cube Rubic, Dave, 9 ans, l’observait de biais: qu’est-ce qu’elle lui voulait? Une autre travailleuse sociale! Il ne savait plus combien il en avait connu dans sa vie. Et il venait d’arriver dans sa troisième famille d’accueil en quatre ans. Personne ne le comprenait: il voulait retourner chez sa mère!
Sa mère, il la voyait une journée aux deux semaines. Et encore, c’était si elle pouvait le recevoir. Tout dépendait de ce qu’elle avait consommé la veille, il le savait bien. Mais c’était sa mère! Il désirait vivre avec elle. Elle allait changer s’il était là. Elle l’avait dit au juge, la dernière fois. Il voulait tellement qu’elle change!
Au plus profond de lui-même, il savait qu’elle ne changerait pas. Un désespoir qui éclatait en crises de rage à tout moment l’habitait. Ces crises épuisaient les familles d’accueil les unes après les autres. Pourquoi serait-ce différent cette fois-ci? Et cette t.s., elle ne penserait qu’à faire un autre rapport à la Cour, à dire qu’il a des mauvais comportements et que sa mère ne peut pas s’occuper de lui.
Elle s’assoit par terre devant lui, l’obligeant à la regarder en face. C’est une femme d’environ trente-cinq ans. Elle dégage un calme et une assurance peu commune. Cela le met mal à l’aise.
– Je m’appelle Josiane St-Cyr, dit-elle.
– Je sais que tu me déteste par principe, avant même de me connaître. Pour toi, je suis celle qui va t’empêcher de voir ta mère. Je te précise tout de suite que tel n’est pas mon but. Je suis et je serai là pour toi, pour toi seulement.
À son grand étonnement, elle ajoute:
– Tes crises de colère ne m’impressionnent pas le moins du monde: je comprends parfaitement que c’est ta façon à toi de ne pas pleurer et de nous dire ta peine.
Elle laisse un silence pour s’assurer qu’il a bien entendu.
– Je vais te rencontrer deux fois par semaine, une heure chaque fois, les lundis et les jeudis à quatre heures.
– Pour quoi faire?, il lui répond.
– Pour que ce soit régulier, prévisible. Il y a eu trop d’incertitude dans ta vie. Et je serai là UNIQUEMENT pour toi durant cette heure. Nous allons jouer et parler, parler et jouer…
– Et si je ne veux pas parler?
Elle sourit pour la première fois.
– Fais-moi confiance! Je suis sûre que tu as plein de choses à me dire. Est-ce que ta mère t’écoute pour vrai, elle?
Des larmes de colère, de peine apparurent dans les yeux de Dave. Mais aussi une lueur, presque un espoir, un désir que ce soit vrai. Peut-être pourrait-il faire confiance à cette Josiane.
Un défi pour ma mère
Rose était fébrile. Ça passe ou ça casse! Il lui fallait réussir cette fois. Elle avait échoué les deux derniers examens. Il faut avouer que pour elle, une mère de famille de onze enfants, qui avait en plus hébergé tour à tour sa belle-mère, sa sœur, son père, son frère alcoolique durant de longues années, obtenir son permis de conduire à soixante-huit ans n’était pas chose facile.
Elle avait lu et relu le livret pour l’examen écrit. Elle avait aussi pratiqué les manœuvres avec l’auto familiale dans la grande cour du commerce puis en allant au village, sous le regard inquiet de mon père, lui qui ne comprenais pas trop pourquoi sa Rose insistait tant pour conduire: il pouvait l’amener où elle voulait!
Il ne consevait pas ce besoin d’autonomie, de liberté. Il n’aimait pas les quilles et l’Âge d’Or… Il préférait rester tranquille chez lui. Elle avait besoin de participer à des activités, de rencontrer des gens…
Ils se rendirent au « Bureau des Licences » du village voisin. Son examen était prévu à dix heures. Malgré sa nervosité, cette fois l’examen fut une réussite. Ouf! La liberté, c’est aussi de pouvoir aller où on veut! Elle en était bien fière.
Exercice 1:
Vous devez compléter les 2 phrases suivantes, soit en prose ou en vers selon votre inspiration du moment (thème libre)
«La vie est étrange avec ses détours
Nous l’apprenons tous un jour» …..
Étrange vie
La vie est étrange avec ses détours, nous l’apprenons tous un jour. Né dans une famille nombreuse de l’Abitibi, je me voyais contraint à une vie bien limitée. À La Sarre, on cultive plus les épinettes que les livres! Je croyais être condamné à demeurer dans ce pays perdu au Nord.
Une tante, sœur de mon père, en décida autrement. Ayant épousé un notaire et n’ayant pas d’enfant, elle voulut me prendre sous son aile. À dix ans, je m’envolai donc pour Montréal et je me suis retrouvé dans une école privée. Ma tante m’amenait à l’Opéra, aux musées et m’achetait tous les livres que je désirais.
Elle voulait faire de moi un artiste-peintre ou un écrivain! Mais, en secondaire III, je rencontre un professeur de chimie qui me fait découvrir les sciences. C’est ainsi que ma vie a bifurqué vers le domaine de la recherche et que je suis devenu Professeur de Biochimie à l’Université McGill. Pas si mal pour un petit gars de l’Abitibi! Malgré cela, je crois que ma tante ne s’est jamais remise de ses espoirs déçus.
Exercice 2:
Vous avez trouvé une lettre dans votre boîte aux lettres et vous l’avez ouverte. Mais cette lettre ne vous était pas adressée. De qui était-elle? Que contient-elle? À qui était-elle adressée?.
Faites une belle histoire de cette lettre.
Une lettre
Le facteur dépose une lettre dans ma boîte et je l’ouvre rapidement. Il est si rare de recevoir autre chose que des factures ou des publicités. La missive avait de quoi me surprendre.
» À mon cher Amour,
Lorsque je t’ai vu la semaine dernière, j’ai ressenti comme un poignard dans mon ventre. J’étais sans voix, bouche bée, totalement désarçonnée. Est-ce cela le coup de foudre? De la soirée, j’ai été incapable de t’adresser la parole ni même de t’approcher. Moi que l’on décrit comme une personne déterminée et sûre d’elle, ce que je suis dans mon travail, je me sentais comme une adolescente à sa première sortie avec un garçon. Je suis certaine que j’aurais bégayé si tu m’avais adressé la parole. Je suis donc restée dans mon coin, t’observant à la dérobée sans oser te faire signe.
À quarante ans, divorcée depuis cinq ans, sans enfant et sans attaches, je suis une femme libre. Tu es l’homme de ma vie, j’en suis convaincue. Nous sommes faits l’un pour l’autre. Les astres le veulent, je l’ai lu dans mon horoscope.
Cette lettre est pour t’annoncer que je t’attends, que je t’attendrai toute la vie s’il le faut. Viens vite, mon chéri. La vie est trop dure sans toi. Tu verras que j’ai des trésors d’amour et de tendresse à te donner. Tu es si beau que j’en frémis. Je t’aime, je t’aime, JE T’AIME !!!
Tu ne peux pas refuser un tel amour. Depuis une semaine, je ne vis que par toi et pour toi. Tu es mon Dieu! Avant-hier, je suis allée à ton bureau pour y adorer l’ombre de ton auto… Car là où tu mets le pied, la terre me devient sacrée. Je pense à toi, je ne vis que pour toi.
Viens à moi, mon amour mon adoré,
Ta Josée »
J’étais très perplexe et un peu inquiet devant cette lettre. Mais qui est donc cette Josée? J’étais à une réunion de la Chambre de Commerce la semaine précédente mais je n’avais rien remarqué de particulier. Qui est cette illuminée? Un amour si dévorant, si total est même inquiétant. Pourrait-elle en venir à m’agresser si je l’ignore?
Décidé à en avoir le cœur net, j’examine l’enveloppe et je constate que cette lettre était adressée à mon voisin! Le facteur s’était tout simplement trompé d’adresse. Mais comment lui expliquer que j’ai lu une telle lettre? La situation est vraiment embarrassante.
Jeudi 21 mai 2020
Comme d’habitude, à la fin de la saison d’écriture, on se rend au restaurant pour se réunir une dernière fois et papoter ensemble dans un décor moins formel.
Vous devez donc imaginer dans quel restaurant on se rendrait, qui serait là, qu’est-ce-que vous mangerez, que vous boirez, quel sera votre dessert, quelle sera l’ambiance, le service, les jeux et que se dira-t-on à la fin du repas.
Bon dernier atelier.
Voici le canevas pour l’écriture du chapitre 1:
Les personnages discutent du problème de l’émir de Kadash. La sultane écoute, dissimulée derrière une fenêtre grillagée qui donne sur la salle du Conseil. Pour lier les deux familles, on suggère de demander la fille de l’émir en mariage et d’inviter son jeune fils à devenir l’écuyer de Karim.
Le défi en réalisant votre texte d’une page environ ou moins est de faire intervenir les cinq sens (toucher, odorat, goût, vision et audition).
Chapitre 1 Abraham ben Gour
Je me suis levé, comme chaque matin, à l’appel du muezzin. Veuf depuis dix ans, je vis dans une maison modeste du quartier juif. Je m’habille d’un habit de lin, rude au toucher mais inusable. J’y suis habitué. Je prends un rouleau du Livre au hasard et je laisse Yhwh guider mon doigt sur un verset à méditer :
‘’Toujours ferme, la lèvre vraie-
bientôt brisée, la langue menteuse’’ (Proverbes 12, 19)
Je souris en pensant au Conseil convoqué par le Sultan. J’aurai encore à affronter les demi-vérités du Grand Vizir, oser dire le vrai, calmement, avec humilité, pour le plus grand bien de tous. Que me réserve ce Conseil?
Je savoure lentement mon déjeuner : quelques dattes, du pain trempé d’une huile d’olive et de l’eau. Je mets mon kippa, cette calotte que tous les juifs portent. La rue grouille de gens qui vont au souk. La rumeur sourde attire la foule mais je remonte la rue, dirige mes pas vers le Palais. Les gardes me laissent passer : le médecin royal est reçu en tout temps.
Arrivé à la salle du Conseil, je salue dans les règles le Grand Vizir, disant le »Assalamu alaykum’’ en me touchant le front, les lèvres et le cœur, tout en m’inclinant avec respect. Le vizir répond à mon salamalec avec une certaine raideur. Je connais bien son animosité à mon endroit.
À cette heure matinale, le soleil entre par les fenêtres haut placées. Les faïences luisent d’un éclat jaunâtre et un grand lustre de cuivre rutile sous les rayons obliques. Un serviteur apporte un plateau de pâtisseries et de fruits qu’il dépose sur une table basse autour de laquelle sont disposés d’épais coussins. De grands tapis couvrent la pièce, ajoutant à la richesse du décor. On allume un brûleur d’encens : son parfum envahit l’espace. Je jette un regard vers le moucharabieh accroché au mur de droite : la Sultane s’y cache peut-être. Elle écoute régulièrement le Conseil.
Al-Din, le général, un homme de trente-deux ans, mince, aux gestes secs, arrive à son tour. Il a l’habitude de commander et d’obéir aux ordres. Je le sens mal à l’aise dans ce Conseil où l’on cache toujours ses véritables intentions, où les intrigues et les intérêts particuliers priment sur l’action.
Le sultan et son fils entrent. Tous s’inclinent profondément. D’un geste, il indique les coussins et l’on s’installe. Un serviteur sert un thé de Chine, luxe que tous savourent en silence. Le goût amer et légèrement fumé me râpe la langue. Le serviteur se retire dans l’ombre, gardant le regard baissé.
Le Vizir ouvre la discussion :
‘’ Votre Grandeur, le secteur ouest des murailles nécessite des travaux importants. Il faudra débourser près de neuf mille dinars pour ce chantier.’’
Le général intervient :
‘’Dans ce cas, il faut en profiter pour hausser les murs et y ajouter des mâchicoulis : la porte ouest sera mieux protégée en cas d’attaque.’’
‘’ Il faudrait six mille dinars de plus pour de tels travaux! Les finances du royaume ne sont pas si fortes.’’ objecte le Vizir.
‘’ Prenez huit mille dinars et débutez le travail. Je vais discuter des coûts avec Youssouf, le maître-maçon.’’ répondit le Sultan.
Il sait que son vizir garde un pourcentage pour lui-même. Mais le goût du luxe du vizir est une faiblesse que le Sultan sait exploiter à son avantage.
Il prend une datte sur le plateau, une Deglet Nour (doigt de lumière) de Kadesh, la savoure avec ostentation. ‘’Kadesh produit les meilleures dattes qui soient. Ils en vendent beaucoup. De plus, les caravanes vers Jérusalem et l’Égypte doivent toutes passer par cette voie. Je veux m’assurer que nous soyons les maîtres de cette route. Mais comment faire?’’
‘’ Donnez-en l’ordre et je vous amène l’Émir bin Abdoul enchainé à vos genoux d’ici un mois’’, répond le général al-Din.
Karim s’agite, prêt à appuyer cette proposition guerrière. Le Sultan le coupe d’un geste. ‘’Non! Vous auriez besoin des trois-quarts de nos troupes et nous serions à la merci de nos ennemis. Ce serait imprudent.’’
Chacun cherche une solution. Le vizir avance une proposition : ‘’Il y aurait une solution, votre Grandeur. Et cette solution peut aussi améliorer les finances du royaume.’’ Il laisse un silence planer pour ménager son effet. ‘’L’Émir a une fille de 17 ans, Soraya. Votre Grandeur n’a que trois épouse… Il devra aussi lui verser une dot à la hauteur de l’honneur qui lui est faite!’’ J’entends un murmure étouffé du mur sud. Je devine que la sultane espionnait le Conseil. Le Grand Vizir est souriant. Je vois son stratagème. Avec ce mariage, ce sera la guerre dans le sérail : l’attention du sultan serait tournée vers sa famille et le vizir aurait le champ libre pour ses combines.
Le sultan est distant, rêveur. Il parait enchanté de la suggestion de son vizir. Bien sûr, il lui faudra apaiser les craintes de la sultane, très jalouse de sa position et connue pour son caractère bouillant. Elle domine clairement les deux autres épouses et elle tient à son influence. Mais une jeune épouse, cela est fort tentant pour cet homme de quarante-huit ans.
Je décide d’intervenir : ‘’La suggestion de Monseigneur le Grand Vizir est fort intéressante et résout certains problèmes. Toutefois, l’Émir bin Abdoul pourrait tergiverser et se braquer. Il est très attaché à sa fille et lui passe tous ses caprices. Elle sait même monter à cheval! Tandis qu’un mariage avec votre fils Karim unirait vos deux familles plus étroitement. L’Émir de Kadash sera honoré de la voir première épouse du Prince héritier et future Sultane. Il ne pourra refuser.’’
‘’On pourrait de plus demander que son fils Djamil accompagne sa sœur et devienne écuyer du Prince.’’ ajoute le général. ’’Avec sa fille et son fils entre nos murs, l’Émir bin Abdoul ne pourrait plus s’opposer à notre pouvoir.’’
Le sultan comprend que ses rêves de félicité conjugale s’envolent. Avec un soupir, il donne son assentiment. ‘’Monseigneur le Grand Vizir, écrivez une missive à l’Émir y faisant part de notre désir d’honorer ainsi sa famille. Général al-Din, vous serez notre ambassadeur extraordinaire et notre messager. Vous partirez avec la prochaine caravane pour Kadesh.’’
Il se lève et quitte le Conseil sans ajouter un mot. La sultane attend ses explications.
Jaber
En tant que fils cadet du sultan, Jaber n’avait aucune obligation officielle. Cela lui convenait parfaitement. Il avait la nostalgie de la douceur du harem, qu’il avait dû quitter à l’âge de dix ans. Il y retournait souvent pour y rencontrer sa mère, jouer du oud et se prélasser à la fraicheur des fontaines. Depuis peu, il avait découvert les poèmes d’Omar Khayyan, dont il se délectait et tentait d’imiter.
C’était un rêveur, aussi peu fait pour l’action qu’une brebis pour la chasse. Malgré son long corps d’adolescent ayant grandi soudainement, ses mouvements gardaient la grâce naturelle de l’enfance. À seize ans, il rêvait d’amour, mais d’un amour lointain, nébuleux, dont l’objet demeurait un idéal plutôt qu’une personne en chair et en os.
Sa nature douce ne le portait pas aux excès. Il aimait les mets fins mais mangeait avec modération. Il aimait la lecture et se procurait tous les ouvrages que les marchands lui apportaient de Bagdad ou de Perse. Il aimait échanger avec l’astrologue royal et même avec cet Abraham ben Gour qui avait tant voyagé et tant lu…
La Sorcière
Samia était une femme sans âge. Vêtue de peaux de chèvres et de haillons, avec ses cheveux sales où l’on devinait plus de cheveux blancs que de noirs, et un visage buriné par le soleil du désert, elle aurait pu passer pour une mendiante. Et pourtant, on venait de loin pour la consulter, lui demander un avis, un oracle ou quelque potion aux pouvoirs que la renommée disait magiques.
Elle s’assoyait sur une pierre presque carrée, à l’entrée de sa caverne, tenant un long bâton noueux, poli et usé par le temps, qui lui faisait comme un sceptre. Assise ainsi, elle ressemblait à quelque divinité antique que l’on approchait avec déférence et circonspection.
D’un regard fixe, acéré, elle examinait les suppliants qui l’approchaient. Personne ne pouvait supporter longtemps ce regard inquisiteur, qui plongeait au plus profond de votre âme et discernait vos secrets les mieux gardés. Elle écoutait beaucoup, parlait peu, habituée au silence de la montagne où elle errait avec ses chèvres.
Chapitre 2 Fatma
Kamel! Ton souvenir vient encore me hanter. Après plus de vingt ans! Non, je suis incapable de t’oublier. Mon Kamel si séduisant et d’une si rare beauté. Tes yeux couleur charbon ardent, ta chevelure noire de jais descendant en cascade ondulée jusqu’au bas de ton dos, ton visage buriné plein de douceur et de détermination… Ah! Si mon père avait accepté ta demande en mariage au lieu de celle du sultan… Mon cœur bat la chamade et je suis toute rouge juste d’y penser. Mon grand amour! M’aimes-tu encore? Même au péril de ma vie, je dois te revoir au moins une fois avant que l’âge ne me ride et que ma beauté ne soit plus qu’un souvenir. Mais comment faire? Le sultan ne doit pas se douter de rien! Il va voir mon trouble. Je suis sûre qu’il vient me parler… L’attaque est la meilleure défense. Le voilà qui arrive! Prenant un visage irrité, je lui lance:
– Comme je vois, vous décidez d’un mariage sans même me consulter! C’est mon fils tout de même!
Le sultan s’attendait à des reproches.
– Il est grand temps que Karim se case. Je n’aime pas le voir trainer dans les lupanars de la ville.
– Là n’est pas la question. Il pourrait se choisir des concubines bien nées. Il est encore bien jeune et peu mature. Il n’est pas prêt pour le mariage! Vous aviez plus de vingt-six ans lorsque vous m’avez choisie.
– Et j’en garde un merveilleux souvenir, ma biche adorée.
– Ne cherchez pas à m’amadouer avec vos mots doux! Le mariage de notre ainé est trop important pour être décidé à la légère. Avouez que vous auriez préféré prendre vous-même Soraya comme quatrième épouse!
– Mais non, lumière de mes nuits, je n’ai jamais dit que je voulais l’épouser!
– Non, mais je vous ai entendu le penser! Après tout ce que j’endure pour vous… J’ai accepté les deux autres mais une jeune de dix-sept ans, ce serait trop me demander. Et vous n’avez rien vu dans le jeu de votre Grand Vizir, j’en suis convaincue.
– Qu’est-ce que vous voulez insinuer, ma chère?
– Vous êtes toujours aussi aveugle! Il voulait me faire rager, provoquer le trouble dans le harem, m’éloigner de vous et ainsi avoir les mains libres pour ses petites combines. Je vous répète qu’il faut se méfier de lui.
– Je connais son goût du luxe et du pouvoir. Mais c’est l’homme le plus compétent pour gérer le royaume et collecter les taxes. Et reconnaissez qu’il est un fin négociateur.
– Je vous l’accorde. Méfiez-vous malgré tout. Quant à cette Soraya, je crains qu’elle ne nous cause des difficultés. Son père lui laisse faire tout ce qui lui tente. Elle monte à cheval! Quelle éducation! Il va falloir l’avoir à l’œil et protéger notre Karim d’un tel laisser-aller.
– Par contre, ne croyez-vous pas que l’Émir de Kadesh, en se liant ainsi à notre famille, ne soit obligé de collaborer avec nous et d’abandonner ses idées d’indépendance?
– Je vous le concède. Le calcul est bon. Surtout si son fils est ici tel un otage…
– En invité privilégié, ma chérie, en invité d’honneur!
– Si vous préférez ces circonvolutions diplomatiques… Moi je préfère nommer une chamelle une chamelle. Toutefois, la partie n’est pas gagnée. Il pourrait chercher à gagner du temps, vouloir négocier la dot, poser ses conditions et même refuser net… Et Al-Din n’est pas capable de régler quoi que ce soit!
– Mais sur qui d’autres pouvons- nous compter? Je ne peux pas me séparer du Grand Vizir. J’en ai besoin ici!
(Le voilà rendu là où je voulais l’amener!) Je me jette à l’eau :
– Mon adoré, j’aimerais devenir l’ambassadrice de vos décisions et transmettre en personne ces offres à l’Émir. Je pourrais en votre nom lui faire miroiter les avantages d’une telle alliance. Je suis bien placée pour négocier en faveur de nos intérêts. De plus, comme la réputation de sa fille Soraya semble un peu particulière, je pourrais me porter garante de sa conduite, de sa valeur, et de la compatibilité d’un mariage avec notre fils Karim, l’héritier de l’empire.
Après un long silence, le sultan répond :
– Quelle surprenante demande ! Avez-vous songé aux dangers de ce voyage? Les routes sinueuses du désert avec ses ergs et ses regs sont inhospitalières. Les nomades de ces régions pourraient attenter à votre vie ou vous enlever pour obtenir une rançon. Croyez-vous que de tels risques en valent la peine? S’il fallait qu’il vous arrive malheur, jamais je ne me le pardonnerais!
– C’est bien gentil de vous préoccuper ainsi de moi. Avec le général Muhammad al-Din et les gardes du palais comme protection, nul ne pourra m’atteindre. Je ne vois que des avantages à cette mission. Soyez assuré que je vais négocier ferme pour obtenir une dot qui va renflouer notre trésor et combler tous vos souhaits. Notre empire ne s’en portera que mieux. Votre grandeur et votre gloire m’importent plus que ma vie.
Un silence s’installe. Je vois bien qu’il médite une décision. Avec un soupir, il capitule:
– D’accord, ma colombe. Je vous vois bien déterminée à vous rendre à Kadesh. Je vais donner les ordres nécessaires au général Al-Din.
Sur ce, il s’en va. Je pousse un soupir de soulagement. J’ai gagné! Je vais revoir Kamel!
Chapitre 3
Le Général Al-Din arrive à Kadesh.
– Décrivez son arrivée et sa réception par l »Émir Kamel bin Abdoul
– Ce dernier lit la lettre demandant la main de Soraya pour Karim, le fils du sultan.
Écrivez cette lettre.
– Quelle est la réaction de l’Émir devant cette demande: ce qu’il en pense vraiment et ce qu’il dit à l’ambassadeur.
Chapitre 3 Muhammad Al-Din (en l’an 1255)
Dans mon exil en Égypte, moi Muhammad Al-Din, autrefois général des forces du sultanat d’Al-Khandra, ai décidé d’écrire une chronique des événements auxquels je fus mêlé. Beaucoup de racontars, de légendes et d’histoires merveilleuses entourent cette période troublée de mon pays. On parle de philtres d’amour, de sorts jetés, et d’interventions maléfiques pour expliquer cette ère de bouleversements. Quant à moi, j’y vois plutôt les passions indomptées des uns, les ambitions démesurées des autres et la folie des hommes.
Je m’en tiendrai donc aux faits, racontant ce que j’ai vu et utilisant les confidences des autres acteurs de cette histoire. Le destin se joue de nous, pauvres humains, et nous entraine au gré des vents et des tempêtes. Aujourd’hui, arrivé à cet âge où il faut apprendre à mourir, comme le disait le vénérable Abraham ben Gour, je désire me libérer de ces sombres secrets. Les hommes du futur seront-ils plus prudents en comprenant les folies de notre temps ? J’ai peu d’espoir que cela soit un jour. Les passions nous domineront toujours et peu de nous accèdent à la sagesse.
Voici donc mon histoire. Que le lecteur pardonne les maladresses d’un vieux soldat qui n’a pas passé sa vie dans les livres.
En cette année 618 de l’Hégire, le sultan Abdullah bin Ali m’avait chargé d’une ambassade auprès de l’Émir de Kadesh, Kamel bin Abdoul, dont l’ambition et les velléités d’indépendance menaçaient la survie même du sultanat. Une alliance, avalisée par un mariage entre Soraya, la fille aînée de l’émir, et Karim, prince héritier du sultan, devait mettre fin au conflit latent. La sultane Fatma était du voyage. Elle devait discuter de la dot et convaincre l’Émir d’accepter cette offre.
Le long voyage, deux semaines à travers les montagnes de la Lune et le désert de Jawid, s’étaient déroulé sans anicroches. La caravane partait très tôt pour profiter de la fraicheur du matin. Nous faisions halte de 13 heures à 18 heures pour repartir dans la soirée, cheminant si possible à la lumière de la lune.
Kadesh avait été prévenu de mon arrivée par un courrier parti en avant-garde trois jours auparavant. On avait caché la présence de la sultane. Nous avions établi nos tentes à l’orée de l’oasis pour nous préparer à une entrée grandiose dans la médina et au palais de l’émir le lendemain.
La population, curieuse du spectacle, s’était massé le long du parcours. Trente cavaliers de la Garde Royale en tenue d’apparat, turbans et ceinturons blancs, capes rouges bordées d’or et bottes de cuir ouvragés, ouvraient le cortège. Les chevaux, des alezans aux pattes blanches, étaient habillés de couvertures à franges et on avait tressé leurs crinières. Sur de grandes hampes, les oriflammes battaient au vent. On fit sonner les chofars. Le cortège s’avança. La foule, éblouie par ce déploiement, lançait des vivats et des you-yous de joie.
Les méharistes, tous habillés de blanc et d’un turban jaune, suivaient. La beauté des chamelles et l’adresse des conducteurs faisaient merveilles. Monté sur mon cheval noir, piaffant et sautillant, je précédais une armée de serviteurs qui entouraient une litière fermée. Tous s’interrogeaient sur l’identité de ce visiteur de prestige ainsi caché aux regards.
Arrivés devant les portes du palais, les chofars résonnèrent de nouveau. Devant les notables alignés près de l’entrée, les cavaliers firent un carrousel. Ce fut une démonstration de savoir-faire équestre. Les montures se croisaient au pas puis au trot, dans une chorégraphie parfaite. Les you-yous redoublèrent. Puis les chevaux et les chamelles s’agenouillèrent sur deux rangés dans un ensemble bien coordonné. La litière, portée par des eunuques, s’avança au milieu de cette haie d’honneur jusque dans l’enceinte du palais. On ferma les grandes portes, laissant planer le mystère sur l’identité du visiteur ainsi honoré.
Dans la cour intérieure, l’Émir Kamel bin Abdoul et son fils Djamil nous attendait, debout sur de grands tapis persans, droits et fiers.
L’apparition de la sultane, superbe et hautaine, couverte de ces plus beaux bijoux, créa une commotion. Tous croyaient en la visite du Grand Vizir. Je perçus un élan vite réprimé de la part de l’Émir. L’émotion le laissa sans voix un moment. Il se ressaisit, nous saluant avec respect et selon les conventions.
Il nous fit pénétrer dans la grande salle de réception. La magnificence des lieux ne laissaient aucun doute sur la richesse de l’oasis. Des tapis somptueux décoraient murs et planchers. Une grande aiguière d’or finement ciselée trônait sur un plateau d’argent. Des effluves de menthe fraiche se dégageaient de théières au long col. Sur un mur orné de faïences géométriques, quatre grandes défenses d’ivoire témoignaient des échanges avec la lointaine Afrique. Des coussins moelleux nous attendaient, devant des plateaux de dattes, fruits frais, loukoums et pâtisseries aux pistaches.
L’Émir me connaissait bien. On s’était rencontrés plusieurs fois à la réunion annuelle des Émirs. Il s’enquit de notre voyage, de la santé du sultan et nous avisa qu’il avait préparé des chambres d’invités. Il donna des ordres pour que la sultane ait ses quartiers privés avec ses servantes dans une aile du palais. Après les politesses d’usage, on servit le thé à la menthe. Il s’enquit alors de l’objet d’une ambassade aussi prestigieuse. Il n’avait d’yeux que pour Fatma qui, toujours souriante, fit un geste dans ma direction.
Je tendis à l’Émir un rouleau avec le message du Sultan.
Il l’ouvrit :
‘’Nous, Sultan d’Al-Khandra, descendant du Prophète par Ali, Commandeur des croyants, chef suprême des oasis de Sakâkath, Jawel, Al-Hardash, Bettawi, Kadesh, Boukra et Nalbeth, Seigneur des bédouins du Jawid et des montagnes de la Lune, te saluons avec amitié. Qu’Allah le Miséricordieux t’ai en sa sauvegarde.
Mon frère, car c’est à ce titre que nous voulons dorénavant te parler, nous avons arrêté un grand dessein pour nos deux familles. Nous voulons établir une union sacrée avec Kadesh pour le plus grand bien du royaume. Nous demandons la main de votre fille Soraya comme première épouse pour notre fils et héritier Karim. Elle aura ainsi pour destin de remplir le rôle de sultane lorsque Allah le Miséricordieux, que son nom soit béni, me rappellera dans son Paradis.
En gage de notre estime, nous avons délégué notre première épouse, la Sultane Fatma, pour régler les détails de ce mariage. Elle pourra ramener votre fille à Al-Khandra avec tous les honneurs dus à la future épouse de notre fils bien-aimé.
Nous désirons aussi inviter votre fils Djamil à venir occuper le poste prestigieux de Premier Écuyer de Karim. Auprès de lui et du Général Al-Din, il pourra ainsi parfaire sa formation militaire. Nous ne doutons point que sa présence auprès de nous ne soit d’un grand réconfort pour sa sœur Soraya, car l’on nous dit qu’ils sont très liés.
Nous appelons sur vous, mon cher frère, les bénédictions du Très Haut. Nous espérons vous recevoir bientôt dans notre belle cité d’Al-Khandra pour les célébrations du mariage.
Et Nous signons: Abdullah bin Ali, Sultan d’Al-Khandra.’’
L’Émir lut le texte sans sourciller. Aucune émotion ne transparut sur son visage. J’appréciai la maitrise de lui-même dont il faisait montre. Son esprit vif saisit toutes les implications de cette demande : il était coincé. Il ne pouvait refuser sans encourir de graves complications.
Il me répondit d’une manière très diplomatique :
‘’ C’est un très grand honneur que me fait le Sultan. Cette proposition surprenante mérite réflexion. Je dois en discuter avec mes conseillers et notre astrologue. Je crains que la dot que je peux donner ne soit pas à la hauteur d’un tel honneur.’’
La richesse étalée devant nous démentait de tels propos mais je ne pouvais que m’incliner devant sa volonté de gagner un peu de temps. Je répondis :
‘’ Nous avons prévu retourner à Al-Khandra avec la prochaine caravane, dans huit jours’’, lui indiquant ainsi que les délais étaient courts.
‘’ Vous êtes donc mes invités pour cette période. Je vous donnerai ma réponse avant votre départ. Profitez de ce buffet et de mon humble demeure d’ici-là. Mes serviteurs et mes servantes sont à votre disposition. Je vous convie à un grand festin ce soir. Il y aura de la musique, des danses et je pourrai alors présenter ma fille à notre sultane.’’ dit-il avec un regard appuyé dans sa direction.
Le canevas pour le chapitre 4 est le suivant :
–Durant le festin, l’Émir de Kadesh présente Soraya aux ambassadeurs.
-Al-Din est subjugué par Soraya, en devient amoureux
-Fatma chante une chanson qui parle d’un amour perdu.
-Quels sont les plans futurs de l’Émir?
Tout débuta par un festin. Les hommes se retrouvaient ensembles autour de grands plats de semoule sur lesquels des serviteurs servaient les viandes grillées et les légumes. Plusieurs notables, riches marchands et conseillers de l’Émir, furent présenté au Général Al-Din. On parlait de négoce avec les vénitiens, du pouvoir du Grand Khan si ombrageux et de la menace des Kalash. L’Émir écoutait attentivement, corrigeait parfois une information fautive et Al-Din ne put qu’admirer la qualité et la diversité des intérêts des notables de Kadesh. Il constata que nul n’avait une attitude de courtisan, que tous conservaient leur franc parlé devant l’Émir.
Ce dernier écoutait beaucoup, s’exprimait en peu de mots. Il questionna sans relâche un marchand arrivé de l’étranger, s’intéressant au prix des denrées, voulant connaître les derniers changements dynastiques, les famines et les guerres, mêmes lointaines. Mais il demeurait distant, préoccupé. Al-Din ne doutait pas que le sujet du mariage de sa fille et d’une alliance dynastique avec Al-Khandra le tracassait.
Al-Din questionna Djamil sur sa formation militaire. Ce dernier était fier de lui raconter son entrainement au cimeterre et sa passion pour les chevaux. Il parlait d’un nouvel arc qu’il utilisait quand son père lui coupa la parole pour lui demander ce qu’il pensait du projet d’aller à Al-Khandra. Il réfléchit un moment et demanda :
-Farid pourrait-il venir avec moi ?
-Bien sûr, s’il obtient la permission de sa mère, répondit l’Émir avec un sourire.
Et il ajouta à l’intention d’Al-Din :
-Ces deux garçons sont inséparables. Ils sont du même âge. Farid est le fils de la marchande Séphora, veuve depuis deux ans. Lui et Djamil voudraient bien que je l’épouse !
-Pourquoi pas ? C’est une très belle femme. Je suis certain qu’elle ne dirait pas non, répondit Djamil.
L’Émir se contenta de sourire et de faire un geste de dénégation de la main.
Peu après, on fit entrer les musiciens pendant que l’on desservait les plats. Les joueurs de nay, ces flûtes de roseau si répandues dans nos contrées, amorcèrent une mélodie lente et voluptueuse. Le oud et le tar à long manche se joignirent à cette musique. Le joueur de tabla vint appuyer le rythme. Une dizaine de danseuses entrèrent alors sur une petite scène, se déhanchant en faisant tourner leurs voiles, frappant du pied pour accentuer les temps forts, toutes en grâces et en séductions. Elles enchaînèrent avec une danse du ventre enlevée, chacune des danseuses montrant tour à tour sa virtuosité par une improvisation personnelle. Ces démonstrations plurent fort aux convives. On applaudit bruyamment la performance.
Fatma fit alors son entrée, parée de ses plus beaux bijoux, entourée d’un groupe de femmes qui lui accordaient la préséance. À son côté se tenait Soraya. De petite taille, elle s’effaçait devant la prestance de la sultane. Sa grâce naturelle compensait largement ce handicap. Elle vint s’assoir au pied de l’Émir. Celui-ci l’accueillit avec un large sourire, faisant fi de ce bris des conventions. Al-Din fut ébloui par cette apparition, cherchant un moyen de l’aborder sans trop montrer son émoi.
Les musiciens entamèrent une ballade et les conversations reprirent. Se souvenant de la belle voix de Fatma, Kamel lui demanda si elle voudrait bien chanter. Elle se leva, alla vers les musiciens et emprunta un oud à l’un d’eux. Le silence se fit dans la salle. Elle entama une lente mélopée, s’accompagnant au oud.
Un joueur de nay souligna la mélodie. La voix claire de la Sultane s’élevait dans la salle. Elle chantait l’histoire de la princesse Almina, qui attendait le retour de son amoureux parti à la guerre. Elle parlait de sa peine, de la douleur de l’absence. La chanson se terminait par la phrase : ‘’ Quand me reviendra-tu, mon tendre amour?’’ Elle chanta ce dernier vers avec de tels accents de vérité que tous en furent émus. On applaudit vivement sa prestation et Kamel la regardait avec une expression lui disant qu’il avait bien compris le message.
Durant ce numéro, Al-Din avait contemplé le visage de Soraya, surveillé chacune de ses réactions. Il n’avait rien vu de l’échange entre l’Émir et Fatma, tout entier pris dans son propre vertige. Se sentant observée, Soraya se tourna vers lui et lui sourit. Se souvenant de son amour de l’équitation, il lui demanda quel type de chevaux elle montait. Moqueuse, elle lui répondit qu’il s’agissait d’une curieuse façon d’entamer une conversation avec une femme. Il rougit et elle éclata d’un rire cristallin. Elle se racheta en lui disant combien elle avait trouvé magnifique son cheval noir, le complimentant sur son habileté à contrôler un étalon aussi nerveux. La conversation se poursuivit sur un ton mi-sérieux, mi-badin. Il ne savait que penser devant cette jeune femme qui faisait montre d’une telle liberté dans son attitude, sans la réserve et de la soumission que l’on s’attendait de trouver chez les femmes. Loin d’en être scandalisé, il trouvait cette attitude rafraichissante et il en était ébloui. Pour la première fois de sa vie, il sentit non pas un désir, mais un amour définitif, absolu, irrémédiable. Mais cet amour lui était interdit : elle était promise à Karim. Il devait faire taire ses sentiments. C’était son devoir.
Les invités quittaient peu à peu. Al-Din remercia chaleureusement l’Émir de cette soirée et retourna dans ses quartiers, le cœur lourd.
Les textes sont dus pour le 14 juin.
Bien entendu, tous peuvent participer à cet exercice.
Bonne écriture!
Yves Dion
Jour 22-23
De retour dans sa chambre, Fatma mit un vêtement de nuit en soie, ample et irisé. Le doux frottement du textile sur sa peau ne faisait qu’exacerber son désir. Elle ne pouvait pas aller rejoindre Kamel et cinq eunuques, postés dans l’antichambre, gardaient jalousement sa porte. Ils mourraient avant de laisser passer qui que ce soit. Et le sultan serait informé de tout manquement. Elle demeurait prisonnière de son mariage.
Elle se coucha, essaya de s’endormir. Peine perdue, elle bougeait sans cesse, en proie à son désir, le corps fiévreux. Des lampes de chevets lançaient leur faible lueur sur les tapisseries. Dans l’angle du mur, l’une d’elle se mit à onduler. Quelqu’un s’était-il caché derrière ? Elle saisit un stylet pour se défendre, se préparait à lancer l’alarme quand elle vit Kamel apparaître.
Surprise, éperdue, elle se jeta dans ses bras. Ils s’embrassèrent avec passion. Reprenant son souffle, elle demanda :
– Mais comment as-tu fait pour entrer ici ? Les eunuques surveillent l’entrée sans relâche.
– Il y a une porte secrète derrière cette tapisserie. C’est pourquoi je t’ai fait donner cette chambre, répondit-il.
Ils se serrèrent de nouveau, s’embrassant avec avidité. Une soif, une faim de l’un l’autre les possédait. Il l’entraîna vers le lit, enleva sa djellaba d’un geste brusque, la dévêtit rapidement, embrassa son cou, ses yeux, sa bouche, dans l’urgence d’un désir longuement contenu. Elle admirait ce grand corps musclé, éperdue de bonheur, caressant son visage, ses longs cheveux…
Ses mamelons, durs et pointus se dressaient vers lui. Il les prit dans ses mains, les caressant amoureusement. Elle s’ouvrait à lui, il la pénétra doucement. Ils restèrent un instant sans bouger, leurs corps frémissants de leurs désirs émerveillés, de cette fusion tant attendue. Ils se chevauchèrent d’un rythme régulier, accordés comme de vieux amants même si c’était une première fois. Il plongea dans le puit de ses yeux, s’abima dans son regard, se perdit en elle. Soudés l’un dans l’autre, ils se caressaient, s’embrassaient, se mordaient, explorant les méandres de leurs corps et de leur désir.
Leurs souffles et leurs mouvements s’accélérèrent. Leur excitation se fit pressante. Il ralentit le rythme, désirant prolonger ces moments. Il se tourna sur le dos, l’entrainant au-dessus de lui sans se séparer d’elle. Elle le chevaucha à son tour, emportée par son propre désir. Ils s’envolaient sur un tapis volant, dans un univers d’étoiles et de génies. Ils se laissèrent envelopper de voluptés, de sensations nouvelles. La tendresse remplaçait la passion. Le torrent devenait une eau cristalline, une douce fontaine. Ils se laissèrent porter par une langueur diffuse.
Plus tard, la passion revint. Leur cœur s’accéléra, leur souffle devenait plus court, leur étreinte plus pressante. La jouissance montait, approchait d’un paroxysme. Ils ne faisaient plus qu’un : elle était lui, il devenait elle. L’univers s’anéantissait dans cette fusion de leurs âmes et de leurs corps. Ils étouffèrent leurs gémissements dans un long baiser pour ne pas alerter les gardes. Puis, épuisés, émerveillés, ils s’embrassèrent encore. Un silence voluptueux les enveloppa. Ils se dirent leur amour puis s’endormirent, enlacés l’un à l’autre.
Au petit matin, ébranlé, titubant, Kamel dut quitter Fatma. Il lui promit de revenir la nuit suivante et se faufila au dehors par la porte dérobée.
Chapitre 7
Jour 24
La nuit est venue depuis quelques heures. Fatma entend les eunuques qui fêtent dans l’antichambre. L’émir leur a fait servir du vin ‘’ pour les remercier de bien protéger leur sultane’’. Elle se sent tendue, fébrile. Kamel devrait être là! Son impatience grandit. Enfin, la tapisserie du coin de la chambre bouge. Il arrive.
Elle se saisit de lui, l’embrasse avec passion.
Elle ne laisse pas finir sa phrase, se jette sur lui, l’embrasse avec fureur, lui retire ses vêtements, l’entraîne vers le lit. Elle le désire tout de suite, là, maintenant. Son érection ne tarde pas. Il se colle sur elle, se saisit de ses seins, les lèche avidement. Elle l’agrippe, s’ouvre. Elle veut le sentir en elle, se faire posséder. Il la pénètre.
Surpris par l’urgence et la force du désir de Fatma, Kamel se laisse guider. Elle est lionne, elle est hyène. Elle le griffe, le mord, le veut avec violence. Elle veut sa force, exprime un désir à la limite de la cruauté. Leur rencontre devient un combat. Le lit est leur terrain de bataille. Ils se mesurent, se jettent l’un sur l’autre. Elle le monte, le domine. Il la roule, la pilonne. Ils se mesurent ainsi de longs moments, jusqu’à l’extase finale. Elle jouit la première, étouffe à peine un cri. Les vagues de plaisir l’envahissent à son tour. Épuisé et ravi, il tombe à son côté.
La passion satisfaite, elle se blottit dans ses bras. Un désert de silence l’envahit. Elle se met à pleurer, doucement tout d’abord, pour ne pas alarmer Kamel, à moitié endormi. Elle n’en peut plus. Les sanglots l’emportent. Les larmes coulent sur la poitrine de Kamel. Il se réveille. Avec douceur, il lui demande ce qui provoque cette tristesse.
Kamel la laisse dire jusqu’au bout. Il lui demande enfin :
Elle trésaille devant cette évidence.
Il lui dévoile à voix basse son plan. Elle l’écoute avec attention. Ses yeux s’agrandissent, elle rougit.
******
Au matin, Kamel fit venir Soraya dans sa salle de travail. Elle voit des cartes étalées et son père les examines avec attention. Elle attend qu’il lui adresse la parole. Il lève les yeux, l’examine comme il n’a pas fait depuis longtemps. Devant lui, ce n’est plus une enfant mais une jeune femme, déjà droite et fière, capable de lui résister. Il regrette de l’avoir élevée avec tant de liberté. Elle va souffrir.
Elle le regarde fixement, ne répond rien. Il continue :
Elle est bouche bée devant cette rebuffade, si inhabituelle de la part de son père.
Cette réponse traditionnelle ne plait pas à Soraya et elle proteste :
Elle rougit de se voir si facilement découverte. Comment son père l’a-t-il deviné ? Il répond à son interrogation muette :
Il dit cela sur un tel ton que Soraya ne put protester. Sa décision était sans appel. Elle avait les larmes aux yeux mais quitta la pièce avant de s’effondrer. Non, elle n’allait pas pleurer comme une petite fille! Elle ne montrera pas une telle marque de faiblesse devant son père.
Évaluer les forces armées de l’émir de Kadesh faisait partie des objectifs du voyage de Al-Din. Il fallait à tout prix qu’il puisse pénétrer dans la citadelle fortifiée (casbah) pour se rendre compte du pouvoir de Kamel. Croyant que son statut d’invité de marque lui permettrait accès à la casbah, c’est en confiance qu’il s’y rendit sans autres préalables. Arrivé aux portes, les gardes lui refusèrent l’accès Manu militari. On l’informa que seul un laissez passer scellé par l’émir donnait accès à ces lieux. Dépité, Al-Din vérifia les alentours et se rendit compte un peu plus loin que les archers au nombre impressionnant pratiquaient leurs tirs sur des cibles rapprochées. Un frisson lui parcouru l’échine en réalisant qu’une attaque armée risquait d’être laborieuse et se solderait par de nombreuses morts. Rebroussant chemin, il fit un arrêt dans une auberge tout prêt de la citadelle en ourdissant d’en connaître un peu plus sur l’ost de l’émirat. Un cabaretier lourdement appuyé sur le comptoir de service lui demanda ce qu’il désirait boire. “Une cervoise bien froide ferait mon bonheur en cette chaude journée.” “Bien,noble sire, vos désirs sont des ordres.” Al-Din riant dans sa barbe décida de cuisiner un peu le vieil homme pour en connaître un peu plus sur les forces défensives de l’oasis. C’est alors qu’il éprouva une étrange sensation, un réflexe de guerrier. On le suivait, il en était maintenant certain en apercevant cet homme au regard mauvais et à la djellaba bleue nuit . Il l’avait justement remarqué au champ de tirs. Quand ce dernier vint s’asseoir à ses côtés, prudent, Al-Din termina son broc et amèrement déçu pris le chemin du palais. Il allait bichonner son cheval Aslem, mince consolation après un voyage si peu révélateur.
Lorsqu’il mit pied dans l’écurie,une légère odeur de parfum caressa ses narines. Ce pourrait-il ….? Eh oui, Soraya , son ange , son désir, sa muse se tenait aux côtés de sa jument Kemour, la brossant doucement en lui caressant la tête.
“ Quel joli portrait vous faites toutes les deux” fut l’entrée en matière d”Al-Din. Sursautant légèrement Soraya dirigea son regard vers cette belle voix profonde. Que cet homme avait fière allure dans son costume de cavalier. Avec joie et le cœur battant elle fit révérence au général en lui adressant son plus beau sourire. “ “Bienvenue à vous général, heureuse que vous me présentiez enfin votre bel étalon. Je crois que ma belle Kemour ne soit déjà tombée un peu en amour avec votre akhal teke si j’en crois sa robe argentée quel est son nom ? “
“Aslem, ce cheval m’a été offert par le roi Mongol lors d’une course où je fus le vainqueur. C’est bien un akhal teke, vous vous y connaissez ma chère demoiselle. Le vôtre, cette magnifique jument arabe pur sang est un cadeau de votre père? “
“Non, elle me fut donnée en cadeau par un prétendant lors de mes 16 ans, je la possède donc depuis plus d’un an, mais le prétendant n’est plus. Assez pour les présentations lança Soraya, rejoignons-nous aux portes du palais pour une ballade si vous le voulez bien.” Al-Din accepta illico se sentant le coeur si léger que nous aurions pu le voir léviter.
Au petit trot les chevaux et les cavaliers se lançaient des regards admiratifs et de plus en plus langoureux jusqu’au moment où l’on décida de dégourdir les bêtes. Au grand galop ces dernières déployèrent leurs puissances sur un long parcours les menant à une clairière. Hommes comme bêtes, essoufflés et satisfaits, firent halte dans cet endroit idyllique où palmiers, fleurs et fontaines enchantaient cœurs et âmes. “Quel magnifique endroit, on se croirait au paradis “ susurra Al-Din à celle qui faisait vibrer son coeur.
“ Vous êtes vraiment une excellente cavalière et votre jument est fière et fringante. Vous m’impressionner gente demoiselle. Vous savez, une vieille marchande m’a dit un jour que nos bêtes nous ressemblaient, c’est pourquoi souvent j’ai l’impression de ne faire qu’un avec ma monture et vous?”
“Moi de même et merci des compliments général. Si je peux me permettre , je comprends maintenant comment vous avez pu acquérir ce magnifique cheval, quel cavalier vous faites aussi.”
“Dites-moi Soraya, cette proposition de mariage avec Karim le fils aîné de l’émir
Abdullah bin Ali vous plaît-elle ?”
“Je n’en sais encore rien mais, j’ai l’impression que mon coeur s’accroche de plus en plus à un homme que j’admire et avec qui je me trouve beaucoup d’affinités. “
“Si ce n’est pas trop indiscret puis-je savoir le nom de ce privilégié ?”
“ Vous le devinerez peut-être bientôt mais pas question de révélation pour le moment.”
Poursuivant la discussion sur un ton léger, Al-Din et Soraya aperçurent le jeu des chevaux qui se caressaient de la tête hennissant et dansant doucement. Après une cour effrénée, l’étalon cherchait le sexe de la jument qui se montrait prête à le recevoir. L’étalon, le sexe proéminent et impressionnant monta la jument frémissante et tous les deux copulairent comme seuls les bêtes savent le faire c’est à dire avec force et sans retenue. Un peu gênés les deux cavaliers bouche-bée assistèrent à ce magnifique accouplement . L’un comme l’autre pensa au fruit qui pourrait en résulter. Émoustillés et bien qu’une certaine excitation les envahissait, la pudeur et le respect stoppèrent leurs envies. C’est le général qui en bon gentleman pria Soraya de se préparer pour le retour aux écuries du palais craignant que leur absence ne cause préjudice . On entendait presque le battement de leurs cœurs tant le silence les accompagna jusqu’au palais.
Chapitre 7
Jour 24
La nuit est venue depuis quelques heures. Fatma entend les eunuques qui fêtent dans l’antichambre. L’émir leur a fait servir du vin ‘’ pour les remercier de bien protéger leur sultane’’. Elle se sent tendue, fébrile. Kamel devrait être là! Son impatience grandit. Enfin, la tapisserie du coin de la chambre bouge. Il arrive.
Elle se saisit de lui, l’embrasse avec passion.
Elle ne laisse pas finir sa phrase, se jette sur lui, l’embrasse avec fureur, lui retire ses vêtements, l’entraîne vers le lit. Elle le désire tout de suite, là, maintenant. Son érection ne tarde pas. Il se colle sur elle, se saisit de ses seins, les lèche avidement. Elle l’agrippe, s’ouvre. Elle veut le sentir en elle, se faire posséder. Il la pénètre.
Surpris par l’urgence et la force du désir de Fatma, Kamel se laisse guider. Elle est lionne, elle est hyène. Elle le griffe, le mord, le veut avec violence. Elle veut sa force, exprime un désir à la limite de la cruauté. Leur rencontre devient un combat. Le lit est leur terrain de bataille. Ils se mesurent, se jettent l’un sur l’autre. Elle le monte, le domine. Il la roule, la pilonne. Ils se mesurent ainsi de longs moments, jusqu’à l’extase finale. Elle jouit la première, étouffe à peine un cri. Les vagues de plaisir l’envahissent à son tour. Épuisé et ravi, il tombe à son côté.
La passion satisfaite, elle se blottit dans ses bras. Un désert de silence l’envahit. Elle se met à pleurer, doucement tout d’abord, pour ne pas alarmer Kamel, à moitié endormi. Elle n’en peut plus. Les sanglots l’emportent. Les larmes coulent sur la poitrine de Kamel. Il se réveille. Avec douceur, il lui demande ce qui provoque cette tristesse.
Kamel la laisse dire jusqu’au bout. Il lui demande enfin :
Elle trésaille devant cette évidence.
Il lui dévoile à voix basse son plan. Elle l’écoute avec attention. Ses yeux s’agrandissent, elle rougit.
******
Au matin, Kamel fit venir Soraya dans sa salle de travail. Elle voit des cartes étalées et son père les examines avec attention. Elle attend qu’il lui adresse la parole. Il lève les yeux, l’examine comme il n’a pas fait depuis longtemps. Devant lui, ce n’est plus une enfant mais une jeune femme, déjà droite et fière, capable de lui résister. Il regrette de l’avoir élevée avec tant de liberté. Elle va souffrir.
Elle le regarde fixement, ne répond rien. Il continue :
Elle est bouche bée devant cette rebuffade, si inhabituelle de la part de son père.
Cette réponse traditionnelle ne plait pas à Soraya et elle proteste :
Elle rougit de se voir si facilement découverte. Comment son père l’a-t-il deviné ? Il répond à son interrogation muette :
Il dit cela sur un tel ton que Soraya ne put protester. Sa décision était sans appel. Elle avait les larmes aux yeux mais quitta la pièce avant de s’effondrer. Non, elle n’allait pas pleurer comme une petite fille! Elle ne montrera pas une telle marque de faiblesse devant son père.
******
Jour 25
Après les ablutions du matin et le petit déjeuner composé de fruits frais servis sur un plateau d’argent, Kamel ne perd pas de temps pour mettre en marche son stratagème. Sa priorité : convoquer sa fille pour lui annoncer qu’il accepte la demande du sultan. Il est méticuleux dans ses actions. Ses pions avancent sur son échiquier pour l’ultime ‘’Échec au roi’’. Il se méfie de tous ceux qui gravitent autour du sultan, surtout du général Al-Din. Rien ne doit lui échapper.
Soraya arrive. Cette convocation l’inquiète. Elle voit des cartes étalées sur une grande table et son père les étudiant avec attention. Elle attend qu’il lui adresse la parole. Il lève les yeux, l’examine comme il n’a pas fait depuis longtemps. Devant lui, ce n’est plus une enfant mais une jeune femme, déjà droite et fière, capable de lui résister. Il regrette de l’avoir élevée avec tant de liberté. Elle va souffrir.
– Tu te doutes certainement de ce que je vais te dire ?
Elle le regarde fixement, ne répond rien. Il continue :
– J’ai décidé d’accepter la demande en mariage du sultan. Cette union va consolider le royaume et je pourrais difficilement te trouver un meilleur parti. Un refus de notre part deviendrait le pire affront pour le sultan et son fils.
– Je croyais le sultan votre ennemi.
– L’ennemi d’hier peut devenir votre allié le lendemain. Laisse les hommes décider des choses politiques! Ce n’est pas du domaine des femmes.
Elle encaisse cette rebuffade, si inhabituelle de la part de son père.
– Et si je n’aime pas ce Karim.
– Tu devras d’abord le respecter, apprendre à le connaître et lui obéir, comme toute bonne épouse. L’amour vient ensuite.
Cette réponse traditionnelle ne plaît pas à Soraya et elle proteste :
– Je ne veux pas me marier avec un inconnu.
– Tu n’as pas le choix en cette matière. Tu sais que c’est à moi de choisir ton futur époux.
– Et si j’en aimais un autre ?
– Je vois bien de qui tu parles. Al-Din, n’est-ce pas ?
Elle rougit de se voir si facilement découverte. Comment son père l’a-t-il deviné ? Il répond à son interrogation muette :
– Crois-tu que je te laisse aller dans la campagne sans protection ? Des gardes te surveillent de loin depuis toujours. Je suis informé de toutes tes promenades à cheval. J’ai bien vu comment il te regardait durant le festin. Al-Din n’est pas un candidat pour ta main. Je ne te donnerai jamais à un militaire de carrière sans le sou… Ce personnage ne m’inspire aucune confiance. Cet homme est un espion et je ne saurais tolérer plus longtemps vos rencontres. Je t’interdis dorénavant de lui parler en dehors de ma présence ou de celle de Djamil.
Il dit cela sur un tel ton que Soraya ne put protester. La décision de l’émir était sans appel.
– Je sais où est mon devoir. Puis-je me retirer maintenant ?
– Oui, ma fille. Va voir les couturières pour choisir tes tenues de voyage et ta robe de mariée car tu repars avec la caravane d’ici une semaine.
Elle a les larmes aux yeux mais quitte la pièce avant de s’effondrer. Non, elle ne va pas pleurer comme une petite fille! Elle ne montrera pas une telle marque de faiblesse devant son père.
Chapitre 10
Jour 29
Farid retrouve Muhammad Al-Din dans la salle du palais ou il déjeune en compagnie de ses hommes. Largement ouverte sur la cour des écuries, mais couvert d’un toit de tuile, l’endroit demeure frais toute la journée. D’un geste, il éloigne ses hommes, désirant converser avec Farid seul à seul.
Je tiens à vous remercier d’avoir convaincu ma mère de me laisser partir avec vous.
Ce n’est rien, mon garçon ! Je crois que tu pourras bénéficier de ce voyage et que tu apprendras beaucoup à Al-Khandra.
Cela m’enlève un grand poids. Je suis en dette envers vous. Je ne pourrai jamais vous rendre une telle faveur.
Eh bien, tu pourras me rembourser plus tôt que tu ne le penses. J’ai besoin de ton aide et de ta discrétion.
Tout ce que vous voudrez ! Dites.
Al-Din regarde autour de lui pour s’assurer que personne ne les écoute. Il se penche vers Farid.
J’ai besoin que tu portes un message personnel à Soraya.
Soraya ? Mais…
Je dois la voir et lui parler. N’aie crainte ! Je ne veux pas la compromettre d’aucune façon. Elle pourra être en présence d’une personne de confiance. Toi, peut-être ?
Non, je ne pourrai pas tromper ainsi l’émir et Djamil. C’est impossible.
C’est très important pour moi. Ne vois-tu pas quelqu’un d’autre ?
Farid demeure silencieux un long moment. Il hésite à servir d’intermédiaire au général, malgré sa promesse. Si l’émir apprend cela, il sera chassé et perdra Djamil à tout jamais. Finalement, il entrevoit une solution.
Il y a bien Almina…
Almina ? Qui est-ce ?
C’est sa nourrice. Elle a remplacé sa mère auprès de Soraya et de Djamil après son décès. Elle a une maison pas loin de la rue des boulangers. Je peux lui donner votre message pour Soraya et vous pourriez éventuellement vous revoir chez elle, en sa présence.
Très bien ! Montre-moi ou habite cette femme.
*******
Plus tard dans la journée, Al-Din se présente chez Almina. Passé la porte cochère, il se retrouve dans une petite cour. Almina, une dame au visage crénelé de rides et au teint basané, revêtue d’un simple abaya noir et du hidjab, se tient devant la porte de la maison. Elle le regarde de ses yeux noirs d’un air sévère.
Je me suis opposé à cette rencontre, mais Soraya a insisté. Assoyez-vous ici ! Vous pourrez lui parler mais vous ne devez pas la voir. Elle est fiancée et ne doit plus être vue par un autre homme.
Elle lui désigne une chaise basse placée près de la porte. Il s’y installe, résigné. Almina s’éloigne de quelques pas. Il veut regarder à l’intérieur. La voix de Soraya l’avertit :
Ne vous tournez pas vers moi ! Regardez Almina et faite comme si vous aviez une conversation avec elle. Je suis certaine qu’on vous suit.
Soraya, merci de me recevoir. Pardonnez mon impudence. Je ne suis qu’un soldat et un homme de peu de mots. Je sais que je ne devrais pas vous dévoiler mes sentiments, mais je ne peux pas faire autrement.
N’ajoutez rien ! J’ai compris vos désirs dès le premier soir et vous m’avez conquise lors de cette sortie dans la montagne.
Ah, Soraya ! Vous avez donc un peu d’affection pour moi. Vous me comblez.
Je rêve de d’autres cavalcades en votre compagnie. Hélas, je dois me conformer aux ordres de mon père. Il n’y a pas moyen d’éviter ce mariage. S’il n’en tenait qu’à moi, tout serait différent.
J’en ai le cœur brisé.
Moi de même, mon chéri. Promettez-moi de me protéger autant possible.
Je vous le jure. Je serai toujours à vos côtés et à vos ordres.
Dans le ciel, nos cœurs se rejoignent. Allez, maintenant. Et faites attention à vous.
Au revoir, mon amour.
Al-Din serre la main de la nourrice. Elle le regarde s’éloigner puis elle entre consoler sa petite Soraya.
******
Dans sa chambre, Fatma donne les dernières consignes aux servantes pour que les bagages soient prêts au petit matin. La caravane doit partir avant le lever du jour et profiter de la fraicheur du matin. Elle ne garde que ses bijoux, sa robe de nuit et ses vêtements de voyage. Elle s’agite, donne des ordres contradictoires et se fâche contre ses esclaves. Toutes la regardent avec appréhension et se questionnent sur ce comportement. Un silence pesant règne dans la pièce.
Enfin, elle se retrouve seule. Elle va et vient dans la chambre. Elle attend Kamel avec impatience. Que fait-il ? Y a-t’il des complications ? Son plan ne manque pas de finesse ni de cruauté. Elle s’est donnée à lui et ne peut plus reculer. Une dernière nuit avant le départ. Quand pourront-ils se revoir ? L’angoisse l’envahit malgré elle.
Kamel se montre finalement. Elle se jette dans ses bras.
Je suis terriblement inquiète. Je crains pour toi et pour mes enfants. S’il fallait qu’il t’arrive un malheur, j’en mourrais.
Ne crains rien ! Tout est en place. Tu n’as qu’a suivre mes instructions.
Mais Al-Din pourrait tout compromettre. Il voit tout et il est redoutable comme combattant.
Je m’en occupe, n’aie crainte. Profitons de cette dernière nuit ensemble.
Sur ces paroles, il l’entraine vers le lit. Fatma oublie bientôt ses craintes, se laisse transporter par les caresses de son amant.
******
À sa sortie du hammam, Al-Din ressent une grande détente. Les vapeurs brûlantes et le massage ont relâchés tous ses muscles. Le muezzin vient de lancer le premier appel à la prière du crépuscule, le ‘’maghrib’’. Al-Din se hâte vers la mosquée : il veut se recueillir et demander la protection d’Allah pour le voyage de retour. Dans la ruelle étroite, trois sbires lui bloquent le passage.
Le premier brandit un gourdin et s’élance sur lui. Alors qu’il se prépare à le frapper, Al-Din s’avance sur lui. Il dévie le coup de son épaule gauche et le frappe à la gorge de son coude droit. Sans s’arrêter, il donne un coup de pied au visage du second qui s’effondre contre un mur. Le troisième est armé d’un long kandjar. Il se méfie et attend avant d’attaquer. Al-Din se met en position de défense, les pieds écartés et les bras levés. Il ne quitte pas des yeux l’arme de son adversaire. Lorsqu’il tente de le frapper au ventre, Al-Din se jette de côté, s’empare du poignet de son adversaire et lui tord le bras vers l’arrière. L’épaule disloquée, ce dernier laisse tomber le poignard. Al-Din quitte la scène en se doutant bien de l’identité du commanditaire de cette agression.
Chapitre 11
Jour 30
Fatma s’éveille en sursaut au milieu de la nuit, en sueur et le cœur emballé. Une angoisse, un doute la saisit : a-t-elle choisi la bonne voie ? S’est-elle laissée emporter par une passion amoureuse qui brisera toute son existence ? Tromper son époux le sultan, c’est déjà très grave, mais le trahir pour le déchoir de son trône et le faire périr ! Jamais ses fils ne le lui pardonneront !
Kamel dort profondément à ses côtés. Elle connait son ambition démesurée : il voudra sûrement s’engager dans d’autres conquêtes, agrandir le sultanat. Est-ce qu’il l’utilise pour parvenir à ses fins ? Elle chasse cette pensée. Elle ne peut douter de son amour ! Cette nuit encore, ils se sont donné l’un à l’autre avec une passion dévorante, un abandon total. Elle le réveille.
J’ai peur ! Prends-moi dans te bras et fait taire mes angoisses.
Ne crains rien, ma douce ! Nous serons bientôt réunis pour toujours.
Mes fils vont me détester, me rejeter !
Ils vont constater ton bonheur avec moi. Je verrai à leur avenir. Karim épousera Soraya et il deviendra un grand général. Il aime la vie militaire et le combat. Quant à Jaber, il pourra cultiver les arts comme il le désire !
Rassurée par les paroles et les caresses de Kamel, Fatma s’endort dans les bras de son amant.
********
À l’aube, les cris des méharistes se mêlent aux blatèrements des dromadaires. Les esclaves s’affairent à charger les bêtes des ballots, tentes et fournitures pour le voyage. Les bagages de Soraya et de Fatma font l’objet d’une attention particulière : on doit éviter de salir ou d’endommager les étoffes précieuses soigneusement emballées la veille. Deux palanquins richement décorés attendent ces deux femmes.
Al-Din surveille les préparatifs de ses hommes tout en se méfiant des troupes de l’émir. Lui-même et son unité prennent la tête de la caravane, protégeant les palanquins de Fatma et de Soraya. La compagnie de l’oasis, en nombre égal à celle du sultan, vient ensuite. Les eunuques, serviteurs et esclaves forment une colonne bigarrée et bruyante qui fermera le cortège.
L’émir Kamel bin Ayoub s’avance pour souhaiter bonne route à ses invités et à ses enfants. Djamil et Farid, montés sur de superbes alezans, attendent patiemment le signal du départ.
Soraya porte un vêtement de voyage finement brodé. Un voile léger lui couvre le visage. Elle embrasse Almina. Celle-ci contient ses larmes avec difficulté. Soraya s’agenouille ensuite devant son père pour lui demander sa bénédiction. Il lui donne un baiser sur le front et appelle sur elle la protection du Très-Haut. Elle se dirige vers la caravane, mais délaisse le palanquin pour monter sa jument, dans un dernier geste de défi aux traditions. Cette provocation fait sourire Al-Din.
Fatma s’avance enfin, entourée de six eunuques de sa garde personnelle. Elle salue l’émir et le remercie de son accueil chaleureux. Elle arrive à cacher son angoisse à travers le protocole et les déclarations officielles. Son regard s’attarde sur le visage de son amant.
Ce fut un honneur de recevoir une ambassade aussi charmante, répond l’émir. Nous entrevoyons un avenir florissant dans cette union de Kadesh avec Al-Khandra. Fasse le ciel que nous puissions nous revoir bientôt !
Se tournant vers le général Al-Din, il ajoute :
Transmettez mes salutations et mes souhaits de prospérité au Sultan Abdullah bin Ali et au Grand Vizir. Prenez bien soin de mon fils et de son aide de camp. Que les vents du désert vous soient cléments !
Al-Din conduit Fatma à son palanquin et donne le signal du départ. Djamil et Farid encadrent le cheval de Soraya, déterminés à bloquer toute conversation avec le général. Soraya demeure droite et fière, montrant déjà qu’on lui doit un respect absolu. Le long défilé quitte l’oasis, sous les regards curieux et les youyous des habitants.
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Chapitre 12
Jour 31
Depuis deux semaines, l’astrologue Ibrahim Al-Jawali scrute le ciel avec une attention particulière. Aucun doute ne subsiste, une étoile voyageuse est apparue dans la constellation du Taureau. Allait-elle devenir une étoile chevelue, annonciatrice de grands malheurs ? La pleine lune nuit à ses observations, mais il craint le pire. Le Taureau est la constellation de naissances du prince héritier.
Il vérifie ses tables astronomiques des planètes : Vénus dans la Vierge, Jupiter et Mercure occultés par le Soleil, Mars dans le Cancer, Saturne dans le Capricorne… La nouvelle lune sera dans la Vierge dans deux semaines. Il connaît bien les dates et heures de naissance de la famille royale : Karim est Taureau, le sultan Cancer et Fatma Vierge. Que dire au sultan ? Comment lui présenter ces mauvaises nouvelles ?
Jour 32
Al-Jawali se présente devant le Conseil. On doit fixer la date du mariage de Karim. Il a le visage sombre d’un porteur de mauvaises nouvelles. Il hésite à tout révéler au sultan. Ce dernier, tout à son bonheur du mariage prochain, ne détecte pas la mine déconfite de l’astrologue royal.
Alors, quelle date convient aux célébrations ?
N’ayant ni la date exacte ni l’heure de la naissance de la princesse Soraya, il m’est impossible de choisir le moment favorable.
Comment ? L’horoscope de Karim devrait suffire, il me semble.
Habituellement, c’est le cas, vous avez raison, Votre Grandeur !
La politesse excessive et l’attitude gênée de l’astrologue deviennent évidentes pour le sultan : quelque chose cloche !
Déballez votre sac, je vous l’ordonne ! Pas de faux-fuyant avec moi, compris ?
D’une voix tremblotante, Al-Jawali s’exécute :
Une étoile voyageuse vient d’apparaître dans notre ciel. Elle se trouve dans la constellation du Taureau, celle de la naissance du Prince Karim. C’est un mauvais présage et, si elle se transforme en étoile chevelue, de grands malheurs tomberont sur nous. Je suggère de repousser le mariage et d’attendre un moment plus favorable.
Et que dit mon horoscope et de celui de la sultane Fatma ?
Mars est dans le Cancer : préparez-vous à la guerre ! Quant à Son Altesse la sultane, l’Amour la guide et la protège.
Cette dernière prédiction calme un peu les appréhensions du sultan : il ne doute pas de l’affection de sa première épouse.
Notre armée doit être mise en alerte maximale. Je redoute surtout une attaque des Mongols. Avons-nous des informations à leur sujet, Grand Vizir ?
Tout semble tranquille de ce côté. Ils consolident leur emprise sur l’Empire perse. Leur prochain objectif sera Bagdad, à mon avis.
Et les princes d’Arabie ?
Pas de mouvements de troupes chez eux, selon nos espions.
Ben Gour, votre avis.
Vos murailles sont solides et votre armée prête à intervenir : il vaut mieux attendre et ne pas prendre de décisions hâtives. Quant à l’étoile voyageuse, je ne suis pas convaincu qu’elle annonce nécessairement des calamités. On en a observé à toutes les époques et les catastrophes surviennent souvent en leur absence !
L’astrologue ne peut contenir sa stupéfaction.
Douteriez-vous des signes que le Ciel nous envoie pour nous guider ? Même de la bouche d’un infidèle, une telle aberration me renverse ! Les étoiles voyageuses stimulent les éfrits, ces génies malfaisants, c’est bien connu ! Espérons que celle-ci disparaisse avant de causer trop de dommages.
Le Grand Vizir ne peut contenir un méchant sourire durant cette joute verbale. Ben Gour en sera diminué dans l’esprit superstitieux du sultan, se dit-il. Le sultan met fin au Conseil par des ordres brefs qui cachent mal son désarroi.
Karim, assure-toi que nous soyons prêts en cas d’attaque. Doublez la garde et vérifiez toutes les entrées dans la ville. Les portes doivent demeurer fermées toutes les nuits. Grand Vizir, renseignez-vous de nouveau sur les princes d’Arabie. Ce sera tout pour le moment !
Il quitte le Conseil sans même un dernier salut. Karim le suit. Le vizir entraîne Al-Jawali dans une longue discussion, tous deux soudainement atteints de cécité envers le Juif Abraham ben Gour. Celui-ci hoche la tête : il peut ignorer le mépris du vizir et de l’astrologue, mais il demeure inquiet pour le sultan.
******
Le soir venu, le sultan Abdullah bin Ali met des habits de commerçant et se cache le visage sous un large capuchon. Il se fait accompagner d’un esclave fidèle et muet, bien armé et accoutumé à ses sorties discrètes. Il veut l’avis de la diseuse de bonne aventure Asma. Elle habite une petite maison près de la Jamaa al-Kébir, la Grande Place.
Il laisse son serviteur au coin de la rue. Trois coups rapides sur la porte : c’est le signal convenu pour une consultation. Les bracelets de pieds tintent : Asma ouvre le judas. Il relève un instant son couvre-chef. Elle s’empresse de débarrer en reconnaissant son visiteur.
Entrez, Seigneur Grandissime ! Votre esclave est à vos genoux. Désirez-vous un thé à la menthe, voulez-vous que je danse pour vous ?
Non, Asma ! Je suis ici pour connaître mon avenir.
Dans ce cas, installez-vous sur ces coussins. Je me prépare.
Elle va dans le foyer, choisit quelques charbons brûlants avec des pinces et les dépose dans un large bol en terre cuite. Elle y jette des herbes, un soupçon d’encens puis un peu d’une pâte brunâtre. Une vapeur âcre envahit la pièce. Le sultan y détecte l’odeur du haschich. Asma se met la tête au-dessus du récipient et inspire goulument, profondément. Son regard devient fixe et vague : elle semble plongée dans un monde de rêve, un ailleurs indéfini. Il frissonne malgré lui.
Que voyez-vous dans mon avenir ? Fatma est-elle en sécurité ? Que dois-je faire pour préserver mon royaume ?
Je perçois beaucoup de confusion, des nuages sombres vous enveloppent. Des batailles terribles se préparent. Méfiez-vous de quelqu’un qui se tient près de vous ! Trahison !
Et Fatma, est-elle en danger ?
L’Amour sera vainqueur !
Ces derniers mots de la prophétesse relèvent le moral du sultan, mais il demeure désemparé devant un avenir incertain. Il laisse un dinar d’or sur la table, remet son capuchon et quitte le réduit de la voyante. Si seulement Fatma était ici, près de moi, elle saurait me conseiller, soupire-t-il.
Jours 32-36 :
Tout le jour, la chaleur suffocante épuise les voyageurs. Le soleil brutal du désert embrase hommes et bêtes, sans merci. Les bouches sèches peinent à respirer. Tous mettent un foulard sur leur visage pour ne pas trop avaler de ce sable que le vent et les pas des montures soulèvent. Les dromadaires déambulent de leur pas chaloupé dans cet univers pour lequel ils sont nés. Mais les sabots des chevaux s’enfoncent dans ce sable trop fin. Ils peinent à avancer, se fatiguent vite et souffrent de la soif. Des pauses fréquentes s’imposent et le convoi chemine lentement.
Sous le dais du palanquin, Fatma soupire. L’angoisse ne la quitte plus depuis le départ de l’oasis. En l’absence de Kamel, le doute s’installe dans son esprit. Elle prend conscience des dangers qui la guettent : l’opprobre public, le rejet de ses enfants, la possibilité que le sultan l’emporte… Des cauchemars étranges peuplent ses nuits: des génies malfaisants la pourchassent, des femmes en furies veulent la lapider, la tête de Kamel roule sur le sol…
Le mariage de Soraya avec son fils lui apparaît de plus en plus problématique. Cette dernière s’est murée dans un silence pesant, écarte toutes ses tentatives d’aborder le sujet. La sultane comptait sur cette traversée pour établir un lien, une complicité de femmes, mais elle refuse toutes les avances de Fatma. Soraya demeure fermée, inaccessible, se cloître dans sa tente dès que l’on monte le campement, mange seule. Elle exhibe un visage sombre, répond par monosyllabes à son frère ou à Farid lorsque ceux-ci cherchent à briser son isolement. Sa mine s’illumine pourtant si elle entrevoit le général Al-Din passant en revue le convoi ou s’assurant que sa sultane ne manque de rien.
Ce dernier se tient sur ses gardes. Il constate que les soldats de Kadesh ne se mêlent pas à ceux d’Al-Khandra. Ils gardent leurs distances, mangent et bivouaquent entre eux. La camaraderie naturelle et les échanges qui se développent lors d’une expédition commune n’apparaissent pas. Le foulard rouge qu’ils portent tous intrigue aussi Al-Din. Pourquoi afficher une telle enseigne ? Pourtant, il ne détecte aucune agressivité ouverte chez ces hommes : tous demeurent polis, déférents même avec lui. Les conciliabules discrets de Djamil avec l’imposant Muammar bin Sayed, le géant capitaine des gardes de Kadesh ne lui échappent pas. Il surveille sans relâche les mouvements de la caravane, craignant quelque traitrise. Tempête ressent cette tension, nécessite la main ferme de son maître pour le contenir.
Par ailleurs, Al-Din voudrait bien discuter de nouveau avec Soraya. Ses pensées vont vers elle, mais il ne peut l’approcher. Djamil et Farid l’encadrent constamment et bloquent tout contact. Lui tient-elle rigueur de ne pas avoir écouté son cœur, d’avoir refusé de s’enfuir avec elle ? Il maudit son sens du devoir, sa fidélité à son serment d’allégeance, son besoin de servir encore le sultan. Malgré tout, il ne peut renier son honneur de soldat.
Djamil et Farid semblent indifférents à la morosité ambiante. Ils arborent un entrain et une excitation sans failles. La mine déconfite de Soraya, le sérieux d’Al-Din se heurtent à l’insouciance de leur jeunesse. Bien qu’ils surveillent avec attention Soraya, ils anticipent le bonheur des combats futurs, imaginent des actes héroïques, des aventures palpitantes. Surtout, ils se retrouvent chaque nuit enlacés dans leur tente, explorant leurs corps encore si adolescents, leur sensualité décuplée par l’approche du danger.
Jour 37 :
Depuis le midi, le désert de sable cède la place à un reg de pierre. Des arbrisseaux chétifs se révèlent au détour de la piste. Des aigles planent sur les collines. De petits rongeurs se cachent sous les rochers ocre. Le paysage se métamorphose. Près des montagnes de la Lune, le puits de Jubbah offre un répit aux voyageurs : enfin de l’eau en abondance. Des Bédouins de service puisent le précieux liquide dans une grande outre en cuir. Ils la versent dans un réservoir. Les écuyers font boire les chevaux en premier, pas trop à la fois pour éviter qu’ils gonflent. Les dromadaires et les hommes peuvent attendre. Les serviteurs déballent les tentes et commencent l’installation du campement pour la nuit. À l’ouest, des nuages sombres couvrent le ciel. Al-Din s’inquiète. Est-ce une tempête de sable qui s’annonce ?
Soudain, Al-Din perçoit un mouvement sur la crête d’une colline proche. Les redoutés Kalashs se lancent à l’attaque. Il pousse un cri d’alerte, se saisit de son cimeterre et se dirige vers son fidèle Tempête. Il tente de regrouper ses forces. La panique empoigne serviteurs et esclaves, des hurlements s’élèvent. Les eunuques forment un rang serré autour de la tente de Fatma.
Profitant de la confusion, un sbire s’approche du général par-derrière. Il bande son arc. Al-Din a les yeux rivés sur les hordes des Kalashs, cherchant à évaluer leur nombre. Il tient les rênes de Tempête, s’apprête à sauter sur lui. L’étalon sursaute. Ce mouvement soudain lui sauve la vie : la flèche lui perce le poumon droit, n’atteint pas le cœur. Il se retourne, voit un foulard rouge se fondre dans la cohue. En dépit de la douleur, il monte sur son cheval. Ses troupes forment une ligne défensive encore mal structurée. Il se tourne vers les soldats de l’émir. Muammar bin Sayed est en selle, donne un signal et tous s’enfuient vers le désert, laissant Al-Din et la caravane à la merci des attaquants.
Chapitre 14
Samia frappe les pierres à feu : quelques étincelles allument des mousses. Elle souffle sur la flamme, l’alimente avec des brindilles et de la bouse séchée. Une fumée âcre monte vers la voûte de la caverne. Son visage buriné par le soleil du désert danse sous les lueurs vacillantes. Soraya observe cette femme sans âge, vêtue de haillons et de peaux de chèvres : on dirait une mendiante. Malgré cette apparence négligée, elle dégage un calme intérieur, une assurance et une sagesse qui la met en confiance.
Avec précaution, Farid et Soraya soulèvent Al-Din et l’étendent à côté de la vieille femme, sur des peaux de chèvres. Elle déchire la djellaba imbibée de sang pour examiner la blessure. Il geint, à demi conscient.
Farid s’exécute. Elle en sort divers pots de terre cuite, retire une petite boule brunâtre de l’un d’eux.
Soraya obéit. Elle suit les directives de la guérisseuse. Elle met la concoction dans la bouche du général. Il avale en grimaçant. Sa respiration demeure rapide, sifflante.
Samia place divers instruments devant elle : couteaux, aiguilles, crins de cheval… Elle demande une outre d’eau, en verse dans un bol en métal qu’elle dépose sur le feu. Elle nettoie la plaie, examine l’angle d’entrée de la flèche.
Farid lui empoigne les bras et Soraya lui coince les jambes. Al-Din, inconscient, réagit à peine pendant que Samia retire la pointe d’une main sûre. Le sang se remet à couler. Elle applique une compression avec un chiffon, demande à Farid de bien appuyer. Elle saisit une aiguille, introduit un long crin de cheval dans le chas et coud la plaie d’une main experte. Puis, elle étend un onguent et panse la coupure avec le foulard du blessé.
Elle-même se couche sur des fourrures un peu à l’écart. Bientôt, sa tâche accomplie, elle ronfle faiblement. Soraya veille Al-Din. Farid attache les chevaux à l’entrée de la caverne et revient au côté de Soraya. Elle lui parle à voix basse :
*******
Jour 38
Au matin, le blessé devient agité. Il voit des guerriers autour de lui, cherche à se lever, veut se battre. Farid doit le retenir.
Celle-ci lui parle, le rassure, lui donne à boire. Samia lui fait avaler encore du pavot. Il retombe dans une torpeur fiévreuse. Soraya, avec l’aide de Farid, le lave à gestes lents, affectueux. Ses souillures ne la dégoûtent pas et elle masse ce corps abandonné à ses mains. Farid la regarde, étonné. Il constate tout l’amour de Soraya, se questionne sur sa relation avec Djamil : en feraient-ils autant l’un pour l’autre ? Il essaie d’imaginer Djamil blessé et nécessitant les mêmes attentions : démontrerait-il autant de tendresse dans ses soins ?
Il examine de nouveau Al-Din, propre mais déjà trempé de sueur. La fièvre demeure intense, sa respiration pénible. Va-t-il survivre ? Il songe aux ordres qu’il a reçus. Qu’Allah me donne de la force !
******
Dès le lever du jour, Djamil quitte la tente de Fatma et se rend derrière un rocher pour se soulager. Il a caché dans ses vêtements un pigeon. Ce dernier porte un message pour son père. Il lui apprend la fuite de Soraya avec Farid et Al-Din blessé. Il relâche le volatile. Après une révolution au-dessus du campement, il vole vers l’oasis. Personne ne l’a remarqué.
Les Kalashs ne s’attardent pas au puits de Jubbah. Ils partent vers le sud avec leurs prisonniers, abandonnant les morts aux charognards. Djamil demeure aux côtés de Fatma. Il se méfie de ce Youssef Akrami qui le regarde d’un œil méprisant et hautain. Le chef des Kalashs garde toutefois une attitude respectueuse envers la sultane, son précieux otage. Comme prévu, Akrami a envoyé un vieux serviteur à Al-Khandra avec une demande de rançon. Deux de ses hommes l’accompagnent jusqu’aux portes de la ville pour s’assurer que le message soit bien livré.
Jour 39
Les Kalashs campent dans une vallée encaissée et sombre. Sur les hauteurs, des guetteurs veillent. Fatma se sent mal depuis quelque temps : elle a des nausées et elle a même vomi ce matin. Des vertiges l’assaillent. Les émotions des derniers jours expliquent ces malaises, mais elle craint maintenant de tomber malade. Ce n’est pas le moment ! Comment fera-t-elle si… Elle y pense de nouveau, calcule les dates puis sourit : elle ne doute pas de la réaction de Kamel. Elle ne regrette plus de s’être donnée à lui.
Chapitre 16
Jour 41
Lorsqu’il reçoit les nouvelles par le pigeon de Djamil, l’émir Kamel bin Abdoul sent son ventre se nouer. Où se trouve Soraya? Que lui arrive-t-il ? Heureusement que Farid la protège. Le plan ne se déroule pas comme prévu. Encore une fois, Al-Din a survécu ! Cette teigne contrecarre toujours ses desseins.
Et Akrami respectera-t-il leur entente ? Il lui a promis l’oasis de Zaroual, où il pourra y établir ses hommes. Mais il se méfie de cet homme cruel et secret. Il ne prend conseil que de l’iman Al-Charmi, un chef religieux austère et fanatique. Les Kalashs se sont autoproclamés les seuls détenteurs de la vraie foi, les véritables héritiers du Prophète. C’est au nom de cette croyance qu’ils rapinent, violent et rançonnent la contrée. Seuls les pèlerins se rendant à La Mecque peuvent passer par leur territoire sans être inquiétés.
Dix ans auparavant, les Kalashs n’étaient que des bandits qui hantaient les montagnes, vivant de rapines et d’expédients. Puis Akrami, devenu le chef de l’un de ces groupes, s’impose comme leader. Il élimine ses opposants sans pitié, instaure une obéissance absolue basée sur ses convictions religieuses. Ses succès consolident sa position. Il assure à sa tribu une prospérité inconnue jusqu’alors. Un événement le propulse à un autre niveau : la prise d’une caravane venant de Perse. Vingt soldats persans sont capturés. Ils doivent être vendus comme esclaves. Leur capitaine discute avec Akrami et le convainc plutôt de les intégrer à leurs troupes. Ils enseignent aux Kalashs des techniques de combat plus efficaces et les dotent d’une organisation militaire bien rodée. Après avoir obtenu tout ce qu’il pouvait de ces persans, Akrami les fait égorger. Par cette action, il forge sa réputation d’impitoyable cruauté.
L’émir Kamel bin Abdoul ne peut plus reculer. Son désir de Fatma le rend fou. Son objectif demeure à portée de main. Sa stratégie demeure valable. Il doit se débarrasser du sultan. Il lui envoie donc un pigeon avec le message suivant :
“Soraya en fuite. Djamil et la sultane prisonniers des Kalashs. Rançon demandée. Joignons nos forces pour anéantir ces fripouilles.”
*******
Fatma sent l’angoisse l’envahir. Les nausées persistantes l’affaiblissent. Les Kalashs lui ont enlevés presque toutes ses servantes. Elles sont devenues, contre leur gré, épouses de ces fanatiques. Seules cinq vieilles esclaves lui restent pour la servir. Si la surveillance est discrète, son statut de prisonnière ne fait plus de doute. S’enfuir ? Le désert la garde mieux que tous les cachots.
Djamil constate lui aussi que le traité avec son père ne tient plus. Il a voulu rappeler à Akrami ses engagements, obtenu une audience. Le chef des Kalashs l’a fait poiroter sous un soleil impitoyable durant près d’une heure avant de le rencontrer sous sa tente. Les brèves salutations expédiées, Djamil demande :
Akrami regarde ce jeune homme d’un air dédaigneux et laisse un long silence le déstabiliser.
Djamil préfèrerait éviter cette complication supplémentaire. Il réitère sa demande :
Cette dernière réplique assenée d’un ton sans réplique signifie que l’entrevue a pris fin. Djamil est congédié d’un regard hautain.
Avec le fils de l’émir comme otage, Akrami ne craint plus une offensive de ce côté. La rançon de la sultane lui permettra d’engager une forte troupe de mercenaires et d’attaquer Kadesh. Pourquoi se contenter de la petite oasis de Zaroual quand la riche Kadesh peut être prise comme une vieille putain ? Oui, il peut enfin étendre son emprise sur la région.
De retour dans la tente de Fatma, Djamil lui donne un compte-rendu de sa démarche. Que faire ? En premier lieu, il faut prévenir l’émir. Mais la surveillance de Djamil a été renforcée. Fatma suggère de confier le pigeon à une servante. Elle le relâchera à la nuit tombée. Le message succinct laisse deviner leur accablement et leur désespoir :
“ Prisonniers d’Akrami. Vallée de Jabal. Viens nous délivrer !”
Jour 55
Youssef Akrami ne cesse de rager. La sultane s’est enfuie. Il pense un moment à se retirer, à retourner dans ses vallées et ses cavernes. Après tout, il a gagné la dot de Soraya et des esclaves pour ses hommes. Mais la rançon de Fatma demeure alléchante. On lui signale l’arrivée imminente du sultan. Il ne sait rien des événements de la nuit dernière et il n’est entouré que de cinq cent gardes ! Nous sommes beaucoup plus nombreux.
Il décide de faire avancer le palanquin de la souveraine et d’y installer une femme qui a la même taille. Elle a revêtu une abaya de Fatma, mis un voile pour se cacher le visage. Le plan du chef des Kalashs : se saisir de la rançon et de fuir rapidement ensuite.
Le sultan et son escorte apparaissent sur une colline. Il porte heaume et cotte de mailles, prêt pour le combat. Akrami approche avec un petit groupe. Ils accompagnent le palanquin monté sur un dromadaire. C’est le moment crucial de l’échange. Akrami lève le voile de la litière, montrant la femme déguisée. Il déclare d’une voix forte :
Bin Ali lève une main. Les mules portant les coffres, les vingt chevaux et les trente dromadaires sont exhibés à la convoitise d’Akrami. Le sultan garde les yeux rivés sur la femme qui avance vers lui. Sa priorité, c’est d’assurer la sécurité de son amour. Les palefreniers relâchent les bêtes et les envoient vers les Kalashs pendant qu’un contingent s’approche du palanquin royal. À ce moment précis, un cavalier aux armes de l’oasis de Kadesh galope vers lui.
Comme prévu, les forces de l’émir se déploient derrière les Kalashs, bloquant leur retraite. Le sultan rugit aussitôt :
Le son aigre des trompettes résonne dans l’air tiède du matin. Des chevaux bardés de fer montés par des hommes en armure et un contingent de méharis apparaissent sur le flanc droit des Kalashs. Ils se lancent à l’attaque dans un nuage de poussière ocre. Les cimeterres dressés reflètent le soleil levant. Un corps de lanciers et d’archers se masse autour du sultan.
Akrami prend conscience du piège. Il ne peut refuser l’affrontement. Son seul espoir : résister et défaire l’armée d’Al-Khandra. Lui et ses hommes doivent s’engager dans un combat à mort.
L’entraînement consacré à ses troupes par les Persans s’avère crucial pour Akrami. Ils serrent les rangs, les boucliers forment un mur, des lances sont levées pour arrêter la charge. Derrière, les archers tendent leurs arcs. Une pluie de flèches s’élève et retombe sur les attaquants. Protégés par leur armure, ces projectiles les touchent peu. Ils foncent sur les Kalashs. Les massifs chevaux de guerre brisent la ligne de défense, piétinent les fantassins. Les cimeterres s’abattent sur les crânes. Une terrible mêlée s’engage. La cavalerie kalash se rue sur les lourds chevaliers, comptant sur sa plus grande souplesse de mouvement pour les prendre à revers. Cette stratégie fonctionne au début, mais les méharis du sultan viennent appuyer la troupe de choc et affrontent ces barbares.
Du haut de la colline, le sultan observe le combat, envoie ses fantassins en renfort. Les Kalashs se battent avec l’énergie du désespoir. Ils défendent leur vie, offrent une résistance surprenante devant l’armée du sultan, beaucoup mieux équipée. Les cris de guerre, les gémissements des blessés et les hennissements des chevaux renversés montent vers le ciel indifférent. Une odeur de sang, de sueurs et d’entrailles ouvertes envahit la plaine. Les morts s’accumulent de part et d’autre. La poussière de la bataille rend la situation confuse. Le sultan s’exclame :
Comme pour répondre à son interrogation, les cavaliers et les méharis de Kadesh se mettent en branle. Ils avancent d’abord au petit trot puis prennent de la vitesse. Mais plutôt que de foncer sur les Kalashs avec leurs épées et leurs lances, ces guerriers contournent la mêlée, équipés d’arcs… mongols ? Cela suprend bin Ali. Ces armes nouvelles s’avèrent terriblement redoutables. Guidant leurs chevaux par une pression du genou, les archers visent indistinctement Kalashs et soldats du sultan. Les flèches transpercent leurs cibles tandis que ces cavaliers demeurent hors d’atteinte. L’hécatombe se poursuit devant un bin Ali impuissant. La terreur gagne les combattants qui cherchent à fuir cette pluie meurtrière. Plusieurs jettent leurs armes et demandent grâce. Les Kalashs sont abattus sans pitié.
Surgissant de la poussière et du chaos, l’émir Kamel bin Abdoul, le cimeterre haut levé, défie le sultan hébété.
Le sultan saisit son cimeterre et engage le combat. De part et d’autre, les soldats des deux camps s’observent : le duel décisif s’enclenche. Le sultan fonce sur le cheval de l’émir, le jette presque par terre. Kamel reste en selle, redresse la bête. Mais le sultan l’attaque de nouveau. Le cimeterre s’abat, contré au dernier moment par l’émir. Kamel donne une poussée sur son assaillant. Déstabilisé, bin Ali tombe de sa monture. Kamel pourrait le piétiner avec son cheval, mais il met pied à terre. Le combat rapproché se poursuit. Un échange de coups permet à Kamel de toucher son adversaire. La lame glisse sur la cotte de mailles. Le sultan riposte par une feinte. L’émir sent une douleur aiguë au bras gauche. Le sang coule.
Les duellistes se séparent, reprennent leur souffle, se jaugent. La haine de Kamel se mesure au mépris du sultan qui lance :
Le sultan demeure abasourdi par cette révélation. La trahison de Fatma le laisse sans voix. Le combat reprend avec une intensité nouvelle. La rage du sultan se heurte au désir de vengeance de l’émir. Ce dernier domine maintenant, assène des coups puissants. La cotte de mailles résiste. Le sultan ahanne sous l’effort. Un ultime sursaut le propulse vers Kamel. Il tente de le renverser. L’émir esquive, projette sa lame vers le haut. Elle pénètre dans la gorge du sultan. Le sang jaillit, il s’effondre. Il regarde une dernière fois son ennemi, le maudit dans un râle. La lumière disparaît : il s’écroule et sombre dans l’inconscience et le néant.
Les soldats d’Al-Khandra jettent leurs armes, mettent un genou à terre et s’inclinent devant leur nouveau maître.
*********
Débarrassé de la poussière de la bataille et l’épaule bandée, Kamel s’installe dans sa tente et rédige un message pour le Renard. « L’Aigle est tombé. Préparez-vous à nous ouvrir le passage. » Le texte sibyllin s’envole bientôt vers Al-Khandra, fixé à la patte d’un pigeon.
Jour 56
Le voyage d’Al-Din, Soraya et Farid à travers la montagne de la Lune se déroule sans trop de problèmes. La piste indiquée par Samia grimpe vers un col qui permet le passage vers le village de Chérouan. La faiblesse du général les oblige à de nombreux arrêts. Les pentes abruptes exigent une grande maîtrise des chevaux. Souvent, Soraya et Farid descendent de selle pour guider les bêtes par-delà les obstacles. Tout cela ralentit leur progression. Les nuits glaciales ne leur laissent aucun répit. Ils bivouaquent, allument un feu puis s’enroulent dans les couvertures données par la chamane, se serrant les uns contre les autres à la recherche d’un peu de chaleur. Farid observe l’affection grandissante entre Soraya et le blessé. La passion fait place à de multiples attentions quotidiennes, à des gestes doux, à des regards de tendresse. Leur bonheur d’être ensemble compense largement les rigueurs du périple.
Enfin, ils voient les murailles d’Al-Khandra apparaître au loin. Malgré sa fatigue, Al-Din se rend immédiatement au palais pour rendre compte des événements. Le vizir Rachid Chorba ne peut cacher sa stupéfaction devant ce revenant.
Sans donner d’autres explications, le général s’informe :
Devant la détermination du général, le vizir s’incline.
*********
Le serviteur trouve Karim avachi dans son lit. La fête s’était poursuivie tard la nuit précédente. Indolent et de mauvaise humeur, il accueille le messager avec brusquerie.
De mauvaise grâce, il se soulève de sa couche.
Lentement, il se lave le visage avec une serviette parfumée. Puis il choisit un costume seyant orné de broderies dorées et se coiffe d’un keffieh blanc. Il se contemple dans un miroir de bronze et se dirige vers la réunion. Il a hâte de voir à quoi ressemble cette Soraya.
Dès son entrée dans la salle, il détaille la fille de l’émir sans se cacher, cherche à deviner ses formes sous ses vêtements. Il ne masque pas son dégoût devant sa tenue : l’abaya crottée, les cheveux crasseux qui dépassent de son hijab et la poussière du voyage qui couvre les aventuriers. Sans se soucier de la présence d’Al-Din et de Farid, il annonce :
Il commande à un eunuque :
Soraya étouffe une protestation, lance un regard acide vers Karim. Al-Din et Farid n’osent exprimer leur désaccord. Sans un mot, elle se tourne vers la sortie. Ses gestes vifs témoignent de sa fureur devant l’impolitesse et la condescendance de ce prétentieux.
Un silence embarrassé alourdit l’atmosphère. Karim ne paraît pas s’en émouvoir. Il enchaîne :
Rachid Chorba intervient :
Un silence lourd pèse sur l’assemblée. Chacun mesure le danger qui menace le sultanat. Al-Din reprend la parole.
Rachid Chorba s’éloigne pour remplir sa mission. Al-Din profite de cette absence pour aborder un sujet plus délicat.
Karim refuse d’affronter la triste réalité. Al-Din s’incline et quitte la salle, accompagné de Farid, toujours aussi muet. Il lance un regard dans la direction du harem, de Soraya maintenant inaccessible.
********
Un peu plus tard, un cavalier discret s’éloigne des remparts. Déguisé en simple marchand, il conduit son cheval au petit trot. Hors de vue des sentinelles, il accélère et se dirige vers Kadesh. Il porte un message du Renard pour l’émir : « Soraya, Al-Din et un dénommé Farid sont arrivés à Al-Khandra. Quelles sont vos instructions à leur sujet ? »
Chapitre 22
Jour 57
Al-Din et Farid, après un passage au hammam, se sont installés dans la salle commune des cavaliers, près des écuries, pour la nuit. Farid, épuisé par la route, protégé du froid, récupère enfin et dort profondément sur sa paillasse. Le général peine à trouver le sommeil : l’enfermement de Soraya dans le harem et la détermination du prince à l’épouser l’ébranlent. Il se sent coupable de l’avoir exposée à de tels dangers. Il désire communiquer avec elle. Mais comment l’approcher ? Le gynécée, sous la garde des eunuques, demeure un lieu inaccessible, sauf pour la famille du sultan. Al-Din pousse un soupir : il doit convaincre Jaber de transmettre un message à Soraya.
Le matin venu, il fait part de son plan à Farid. Il pourrait parler à Soraya par le moucharabieh du harem donnant sur la Salle du Conseil.
********
Entré dans le palais, Farid demande à un serviteur de le conduire aux appartements de Jaber. Ils traversent une cour intérieure entourée de colonnes et d’un déambulatoire sous des arcades. Quelques dattiers allongent leur ombre bienfaitrice sur le jardin. Une fontaine coule et rafraîchit les lieux. Des orangers dégagent un parfum mielleux dans les allées. Des oiseaux en cage chantent et piaillent, dans une douce cacophonie.
Le guide indique à Farid deux grandes portes bleues ornées de faïences, ouvertes sur le salon de Jaber. Avec un sourire de connivence qui laisse le visiteur perplexe, il s’éloigne, silencieux. Le décor dévoile un lieu raffiné : des tapis aux motifs floraux s’étalent sur le plancher, des coussins épais attendent les invités et des lampes de cuivre finement ouvragées pendent du plafond. Dans un coin, un tar et un oud : le maître des lieux aime la musique. Assis à une table ornée de faïence, Jaber est concentré dans l’étude d’un parchemin. De temps à autre, il prend des notes sur une tablette de cire avec un calame acéré.
Farid, subjugué par les cheveux dorés et le visage délicat de l’éphèbe, mal à l’aise, n’ose pas déranger le prince. Il demeure un moment planté sur le seuil, à le contempler. Sentant une présence, Jaber lève les yeux et observe avec un grand sourire le nouveau venu. Les traits réguliers et le regard pétillant d’intelligence de Farid lui plaisent d’emblée.
Farid, surpris dans sa contemplation, rougit devant l’attitude inquisitrice du prince. Il bégaie :
Il a un large sourire en évoquant la scène. Farid s’enhardit :
Sans oser confirmer ces propos, Farid ajoute :
Après un moment de réflexion, il acquiesce à la requête du général :
Il insiste sur le toujours en plongeant le regard dans les yeux de Farid. Troublé, ce dernier se sent rougir et ne sait plus que répondre. Un silence embarrassé plane. Jaber garde un sourire narquois et décide de délivrer son hôte de son malaise en changeant de sujet. Voyant que Farid observe le parchemin enluminé, il lui demande :
Farid note le passage au tutoiement et se rapproche de la table pour décoder le parchemin. Jaber lui indique le texte :
« Proclame haut le nom de celui que tu aimes,
Car il n’est rien de bon dans les amours cachés ».
Sur ces paroles, Jaber saisit la main droite de Farid et la plaque sur sa poitrine.
Pour toute réponse, Farid se penche vers lui et l’embrasse délicatement. Leur étreinte se prolonge. Un désir intense, une passion nouvelle l’emporte. Jamais il n’a ressenti un tel abandon avec Djamil. Le passé aboli, il plonge dans l’absolu de cette rencontre. Ensemble, lentement, comme pour un rite sacré, ils marchent vers l’alcôve où trône le lit de Jaber.
********
À l’heure de la sieste, Al-Din se rend dans la Salle du Conseil. Il s’assure que personne ne s’y trouve et se dirige vers le moucharabieh. Soraya l’y attend avec impatience.
Al-Din s’éloigne. Il ne remarque pas le vizir, camouflé derrière une tenture. Ce dernier n’a rien manqué de la conversation des amoureux.
********
Al-Din fait la tournée des murailles en compagnie de Karim et du chef des gardes du palais, un dénommé al-Qatari. Il indique une zone des fortifications près de l’entrée sud.
Jour 62
Tous les habitants des environs se terrent à l’intérieur des murs d’al-Khandra. On craint les exactions des troupes de l’émir. Seuls quelques vieillards, pauvres et fatalistes, n’ayant rien à perdre, ont choisi de demeurer dans leur masure. La ville n’est pas organisée pour accueillir un tel afflux de réfugiés. Les gens s’entassent dans les rues et les tentes envahissent la grande place. Des campements de fortune surgissent dans tous les recoins. Des rixes éclatent pour la possession d’un espace convoité. Les gardes du Palais, débordés, peinent à maintenir l’ordre.
L’armée de Kadesh apparaît vers midi. Elle se déploie pour bloquer toutes les entrées de la ville, contrôler toutes les routes. Du haut des remparts, al-Din et le jeune sultan observent cette invasion sans pouvoir s’y opposer de quelque manière : toute tentative de sortie serait suicidaire. La ville cernée se trouve coupée du monde extérieur.
Vers la fin de l’après-midi, des buccins se font entendre près de la porte sud. Un héraut, monté sur un cheval blanc, s’approche et annonce de sa voix forte :
Des murmures accueillent cette déclaration. Karim fulmine. Du haut des remparts, il tonne :
Un peu plus tard, réuni en un conseil de guerre, Karim propose d’attaquer l’émir par surprise le soir même. Le général al-Din doit calmer les ardeurs du jeune sultan. Il lui démontre qu’une telle stratégie l’expose à perdre de précieux cavaliers et a peu de chance de succès. Attendre des renforts à l’abri des hautes murailles s’avère la seule option. Karim, piaffant d’impatience, se rend finalement à ces arguments. Tous se préparent à un long siège.
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Le soir même, une délégation de six hommes conduit le palanquin de Fatma près de la porte sud. La sultane se montre et demande à parler à son fils. Les gardes s’empressent de transmettre le message à Karim. Il accourt. Elle le presse de la rejoindre tandis que ses porteurs s’éloignent pour leur laisser un entretien privé.
Karim est estomaqué d’entendre ces propos dans la bouche de sa propre mère. Il ne peut plus nier le lien entre Kamel et elle. Comment a-t-elle pu trahir ainsi son père ? Il peine à se contenir.
Elle tente de le retenir, attrape sa tunique. Il se dégage d’un geste sec. Il vole vers la grande porte entre-ouverte, laissant Fatma en pleurs, seule, désemparée.
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Jour 63
Tôt le lendemain, Karim vérifie de nouveau les remparts. Il se montre plus résolu que jamais à défendre la ville. Il s’informe des préparatifs, de la formation des civils, renforce la garnison aux points vulnérables des fortifications. Personne n’ose évoquer sa discussion avec Fatma. Le sujet demeure tabou. Al-Din prend conscience du changement chez Karim : déterminé, mais plus sombre, moins impulsif, mais impénétrable. Il devient plus dangereux encore pour Soraya.
Le midi, il la retrouve au moucharabieh de la Salle du Conseil.
Bien dissimulé derrière sa large tenture, le Grand Vizir n’a rien perdu de cette conversation. Il s’éloigne en souriant.
Chapitre 24
Jour 62
Tous les habitants des environs se terrent à l’intérieur des murs d’al-Khandra. On craint les exactions des troupes de l’émir. Seuls quelques vieillards, pauvres et fatalistes, n’ayant rien à perdre, ont choisi de demeurer dans leur masure. La ville n’est pas organisée pour accueillir un tel afflux de réfugiés. Les gens s’entassent dans les rues et les tentes envahissent la place du marché, la Jamaa al-Kébir. Des campements de fortune surgissent dans tous les recoins. Des rixes éclatent pour la possession d’un espace convoité. Les gardes du Palais, débordés, peinent à maintenir l’ordre.
L’armée de Kadesh apparaît vers midi. Des grondements assourdissants parviennent aux portes de la ville, la puissance des troupes de l’émir fait frissonner les habitants. Les escadrons se déploient et bloquent tous les accès à la cité. Du haut des remparts, al-Din et le jeune sultan observent cette invasion sans pouvoir s’y opposer de quelque manière : toute tentative de sortie serait suicidaire. La ville cernée se trouve coupée du monde extérieur.
Vers la fin de l’après-midi, des buccins se font entendre près de la porte sud. Un héraut, monté sur un cheval blanc, s’approche et annonce de sa voix forte :
Des murmures accueillent cette déclaration. Karim fulmine. Du haut des remparts, il tonne :
Un peu plus tard, réuni en conseil de guerre, Karim propose d’attaquer l’émir par surprise. Le général al-Din doit calmer les ardeurs du jeune sultan. Il lui démontre qu’une telle stratégie l’expose à perdre de précieux cavaliers et a peu de chance de succès. Attendre des renforts à l’abri des hautes murailles s’avère la seule option. Karim, piaffant d’impatience, se rend finalement à ces arguments. Tous se préparent à un long siège.
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Le soir même, une délégation de six hommes conduit le palanquin de Fatma près de la porte sud. La sultane se montre et demande à parler à son fils. Les gardes s’empressent de transmettre le message à Karim. Il accourt. Elle le presse de la rejoindre tandis que ses porteurs s’éloignent pour leur laisser un entretien privé.
Karim est estomaqué d’entendre ces propos dans la bouche de sa propre mère. Il ne peut plus nier le lien entre Kamel et elle. Comment a-t-elle pu trahir ainsi son père ? Il peine à se contenir.
Elle tente de le retenir, attrape sa tunique. Il se dégage d’un geste sec. Il s’enfuit vers la porte entre-ouverte, laissant Fatma en pleurs, seule, désemparée.
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À des lieux de la cité, dans sa caverne obscure, Samia la chamane prépare une infusion. Sur un grand feu, elle combine plantes, fragments d’os et de reptiles desséchés, puis y ajoute des cheveux recueillis lors du passage des trois rescapés. Elle boit cette décoction. La terre tremble. Le souffle de la mort fait frissonner sur tout son corps. Les flammes s’élèvent soudain. Elle invoque djinns et éfrits, recherche dans l’éther le devenir de ces trois âmes. Elle discerne des êtres écorchés vivants par l’avidité du pouvoir. À travers les brumes hallucinatoires, des visions se précisent :
Jour 63
Tôt le lendemain, Karim inspecte de nouveau les remparts. Il se montre plus résolu que jamais à défendre la ville. Il s’informe des préparatifs, de la formation des civils, renforce la garnison aux points vulnérables des fortifications. Personne n’ose évoquer sa discussion avec Fatma. Le sujet demeure tabou. Il rumine sa vengeance pour la mort de son père. Il promet à l’émir, celui qui a dévoyé sa mère et souillé son nom, les représailles les plus cruelles. Tout d’abord, l’avilir par l’intermédiaire de sa fille Soraya. Aucun doute, il la possédera jusqu’à la moelle. Elle pliera sous sa domination, comme son objet, son esclave. L’émir entendra ses cris, impuissant.
Al-Din prend conscience du changement chez Karim : déterminé, plus sombre, moins impulsif, impénétrable. Le danger croit encore pour Soraya. Rongé par le doute, il se reproche ses choix. Il regrette le temps où son corps meurtri dépendait des douces mains de sa belle. Les menaces qui planent autour de sa bien-aimée, enfermée par le nouveau sultan, le terrorisent. Comment la protéger ? Les mots, les paroles dites par Soraya dans le désert le hantent :
« Je ne veux plus sauver le sultan ! Je veux sauver notre amour ! Quittons ce pays ! Quittons ce pays…. »
Le midi, il la retrouve au moucharabieh de la Salle du Conseil.
Bien dissimulé derrière sa large tenture, le Grand Vizir n’a rien perdu de cette conversation. Il s’éloigne en souriant.
Chapitre 26
Jour 65
Durant la nuit, le nouveau sultan installe ses hommes aux points stratégiques de la ville. Il confine les soldats d’al-Khandra, désarmés, dans la caserne et les écuries. Karim est confiné dans ses appartements du Palais. Al-Qatari et al-Din sont enfermés dans une cellule.
Les habitants sont soulagés : pas de pillage ou d’exactions. Le changement de régime débute sans trop de grabuge. Kamel bin Abdoul convoque marchands et notables sur l’esplanade de la mosquée. Une partie de la population se joint à eux pour assister à la cérémonie. Il proclame :
Tous les marchands et notables défilent devant lui. Ils se prosternent et prêtent le serment demandé, heureux de ce dénouement. Cette cérémonie terminée, le peuple acclame sa mansuétude. Il réclame le silence pour annoncer :
Des vivats fusent pour souligner ces nouvelles. Le souverain quitte l’estrade et se rend à la Salle du Conseil, où l’attend le Grand Vizir.
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Farid et Jaber ont acheté des vêtements de voyage. Déguisés en musiciens ambulants, ils ont chargé des mulets de leurs affaires. L’oud précieux, camouflé dans un grand havresac et quelques bijoux suffiront pour les frais de l’équipée. Ils se mêlent à la foule des réfugiés qui regagnent leurs villages et leurs maisons. Dans la cohue, personne ne les reconnaît et ils passent facilement les portes de la ville. La route de Bagdad et une nouvelle vie s’amorce pour eux.
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Fatma se dirige vers les appartements de Karim. Elle veut l’amadouer et lui faire entendre raison. Trois gardes surveillent l’entrée. À sa demande, ils ouvrent. Il est couché sur le lit, ne réagit pas en la voyant, refuse de considérer sa présence.
Fatma sent son cœur se déchirer. Comment vaincre les réticences de Karim et obtenir son pardon ?
Jour 66
Al-Din, libéré après avoir juré fidélité au nouveau sultan, retrouve Soraya. Un banc ombragé et discret leur permet de parler de leur amour. Seul un vieux jardinier s’affaire au milieu des rosiers. Soraya ne peut cacher ses craintes.
Ils s’embrassent puis se séparent. En s’éloignant, Soraya presse l’amulette de Samia contre son cœur. Elle adresse une prière muette au ciel : « Faites disparaître les obstacles à notre départ. »
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Peu après, l’espion communique ses observations au vizir Rachid Chorba. Ce dernier, averti de leurs projets, prend une décision. Il saisit cette occasion d’augmenter son emprise sur le royaume. Il se rend chez Karim.
Ces propos mettent Karim en alerte. Il connaît bien la rouerie du Grand Vizir.
Karim fulmine, mais seul le chemin tracé par Chorba peut lui permettre de se venger.
Le vizir s’éloigne, fort satisfait de lui-même. Il est si facile de manipuler ce Karim.
Chapitre 27
Jour 67
Soraya empile ses vêtements sur son lit. Elle choisit ce qu’elle désire emporter dans sa fuite. Elle réunit ses bijoux dans un sac : ce sera toute leur fortune pour un temps. L’arrivée inopinée de Karim la prend par surprise.
Elle tente de quitter la chambre. Il lui bloque le passage, lui saisit le bras. Elle crie à l’aide.
Elle le défie par son silence. Il cherche une réponse puis comprend.
Le regard apeuré de Soraya confirme ses soupçons. Écœuré par cette trahison, enragé de se voir rejeté, il la projette sur le lit et se jette sur elle.
Et elle lui crache au visage. Il la gifle violemment. Elle saisit un stylet et le menace. Il lui tord le poignet, la force à lâcher l’arme. Dans un geste inconscient de protection, elle porte la main à son amulette.
D’un mouvement sec, il l’arrache de son cou et la jette au loin. Elle se débat, cherche à se libérer de son emprise.
Il la saisit à la gorge, commence à l’étouffer. Elle le griffe.
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Voyant un Karim en colère entrer dans les appartements de Soraya, un eunuque a couru prévenir al-Din. Le général se précipite au secours de sa bien-aimée. « Pourvu que je n’arrive pas trop tard ! ».
À bout de souffle, al-Din pénètre dans la chambre. Il découvre Soraya, inerte sur le lit et Karim qui lui serre le cou. Il se jette sur lui. Ils roulent sur le sol. Karim le repousse violemment, se relève et sort son poignard. Les réflexes d’al-Din jouent. Il roule sur lui-même et se remet debout d’un bond, le kandjar à la main. Il lance un regard sur Soraya. Le teint gris et les yeux exorbités ne lui laissent aucun doute : elle ne respire plus.
Karim tente de l’atteindre. Al-Din évite de justesse la lame. La haine tord le visage du prince ; le désespoir, celui du général. Ils se jaugent un instant. Karim s’élance de nouveau. Al-Din pare le coup, mais déséquilibrés, ils tombent tous les deux. Le général se retrouve sous Karim, mais lui enfonce son kandjar dans la poitrine. Le sang jaillit, les yeux incrédules du prince se voilent. Al-Din, couvert de sang, repousse l’agonisant et s’approche du lit. Il serre le corps inerte de son aimée contre lui, pleure et implore :
Les gardes de Karim, attirés par le tumulte, pénètrent dans la chambre. Ils voient le corps ensanglanté de leur maître : ils s’emparent d’al-Din, lui attachent les mains. Tout à sa peine, le général n’oppose aucune résistance.
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Les hurlements de Fatma résonnent dans le harem. Elle se jette sur le cadavre de Karim, lui demande pardon, se griffe le visage et s’arrache les cheveux. Ses servantes l’entourent, la contiennent, l’empêchent de se blesser. Elle devient folle, hors d’elle, crie et pleure sans retenue, inconsolable.
Kamel, alerté par des serviteurs, surgit. Il voit Fatma, retenue par ses suivantes, hurlant et se débattant auprès du corps de Karim ; puis Soraya, sans vie sur le lit. Il court vers elle, la secoue comme pour la réveiller. Le drame l’écrase, le laisse sans force. Il ne peut maîtriser ses larmes.
Il la prend dans ses bras, la berce, l’embrasse. Elle gît, inerte. Les cris de Fatma le traversent, écho lointain de son propre supplice.
Jour 68
Les funérailles de Soraya et Karim, accompagnés d’un chœur de quarante pleureuses, se déroulent le lendemain matin. Portés par des gardes en habits d’apparat, on les enterre tous deux côte à côte, comme des époux, dans le caveau royal. Le nouveau sultan ouvre le cortège funèbre. Soutenu par Djamil, il avance d’un pas lourd, hébété, le visage figé. Fatma s’accroche au linceul de Karim. Elle implore le ciel, se maudit, tient des propos incohérents. Elle parle de se jeter dans la fosse. On doit l’arracher de son étreinte au moment de la mise en terre. Les imams psalmodient les versets du Coran pour clore la cérémonie. Chacun retourne au Palais, silencieux, avec le poids d’une culpabilité immense sur leur âme.
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Al-Din attend la suite dans son cachot. Il est accusé du double meurtre de Soraya et Karim. Il ne proteste pas, ne clame pas son innocence. La cellule sombre et poisseuse le laisse indifférent. La mort ne l’effraie pas : il a perdu le goût de vivre. Sans Soraya, l’existence n’a plus ni intérêt ni saveur. Il désire la rejoindre dans l’au-delà le plus rapidement possible.
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Le vizir Rachid Chorba se frotte les mains de satisfaction. Karim disparu et le couple royal dévasté par les deuils, le chemin vers le pouvoir lui paraît grand ouvert. Rien ne peut lui résister. Bientôt, il deviendra le maître absolu du sultanat.
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